Juin 1714, au large des Bahamas
Le ciel était d'azur, le vent soufflait dans nos voiles brillantes. Nous étions partis depuis trois jours.
Soudainement la vigie, qui n'avait pipé mot depuis des heures, alerta l'équipage passif de ses cris perçants. J'attrapais moi-même ma longue-vue, mes yeux me faisant défaut dans mes vieux jours.
Et c'est là que je le vis.
Le vaisseau fendait les tourbillons d'écume, sa coque de bois immaculée luisant au soleil. À première vue, c'était l'un de ces légendaires navires fantômes, ceux-là même qui hantent les récits des vieux loups de mer, terrorisés par ces monstres sans équipages qui flottent au dessus des flots et fondent sur leurs proies sans qu'il n'y ait ne serait-ce qu'une once de vent.
La taille colossale du galion ne l'empêchait pas de se mouvoir à une vitesse ahurissante. Les yeux écarquillés, je suivais ce géant du regard. Aucun pavillon n'était hissé à son mât. Les hommes étaient paralysés par la peur. Elle fusait sur notre pauvre Licorne, qui s'apparentait à une barque de pêche devant l'immensité de son assaillante.
Le ciel était insensible aux événements. Nous pensions que tout espoir était vain. Le soleil brillait sur l'océan étincelant. Les plus loyaux des matelots étaient recroquevillés dans les coins de notre embarcation, attendant la mort, craignant la colère des Cieux. En tant que capitaine de la Licorne, mon devoir était d'accueillir le châtiment divin, droit, les mains sur la barre, la tête haute.
Il y eut un soudain brouillard qui nous enveloppa, terriblement froid.
Puis ce fut la fin, du moins, c'est ce que j'escomptais à cet instant.
François de Sévigné - Alors que la mer s'agite, les pirates jubilent : journal de bord d'un périple édifiant
Il est impossible de dresser un historique complet de la piraterie magique sans citer l'une des plus grandes terreurs des mers de cette époque : l'énigmatique Hope Sweeper, surnommé l'Impitoyable, El Leviatán ou encore Reus van de zeeën par les marins. Considéré aujourd'hui par les Moldus comme une simple légende, il est cependant établi que ce terrifiant vaisseau a bel et bien existé. Il se serait adonné à de nombreux pillages dans les Caraïbes et le Pacifique, surgissant brutalement et ne laissant que des épaves sur son passage.
D'après divers témoignages, on peut dresser un tableau quelque peu fantasmagorique de ce géant des mers. Il s'agissait d'un gigantesque galion de type anglais, possédant d'interminables rangées de canons. Sa puissance de feu monstrueuse n'égalait que l'atrocité de ses combats, plongés dans une brume surnaturelle. Son Capitaine aurait été le Diable en personne, accompagné de son équipage sanguinaire d'anges déchus, écumant les mers pour piller les pauvres âmes qui croisaient sa route et répandre la Mort.
À ce jour, aucune victime des attaques du Géant n'ont pu être clairement identifiées. Le seul témoignage précis de la violence de ces assauts est celui du corsaire espagnol Moldu Andrés Álvarez García, que ses homologues prirent pour un fou dangereux à la publication de ses mémoires, malgré l'entière dévotion qu'il exprimait envers son pays.
Le règne d'épouvante du Hope Sweeper a pourtant mystérieusement prit fin avec celle de l'Âge d'Or de la Piraterie dans les années 1730. Malgré de nombreuses recherches, son épave n'a pas été retrouvée.
Un cri tira Alice de l'épais volume dans lequel elle était plongée. Elle releva la tête.
- Joder ! Je t'en pose moi des questions sur L'Europeximatisation des Lois des Potions ?
Kassandra s'énervait probablement encore contre le sujet de l'un de ses devoirs, son visage agacé à demi-caché par ses manuels. Non loin de là, Margot, appuyée contre un pilier, s'acharnait sur les cordes de sa guitare, tentant à tout prix de sortir quelques accords simples. Julie faisait glisser sa plume sur une feuille de parchemin, s'arrêtant de temps en temps pour étudier avec attention le profil de la musicienne, sans jamais se départir de son sourire concentré. Leurs camarades jouaient bruyamment à des jeux de société explosifs, au premier sens du terme : les cartes s'envolaient, éclataient et disparaissaient dans de petits tourbillons de fumée.
Tous les élèves de Seconde Année s'étaient regroupés dans la chaleureuse pièce qu'était le Salon de leur Pavillon, la préférant à la froideur des Jardins. L'ambiance qui y régnait n'était pas vraiment propice au travail. Ils étaient tous très excités à l'approche de Noël et de ses somptueuses célébrations perpétrées par l'Académie Beauxbâtons.
La petite blonde tourna la page. La suivante s'intitulait « Équipage Maudit ou Forbans Sanguinaires ». Malheureusement, elle était totalement illisible, principalement à cause d'une tache sombre au centre de la feuille, qui avait coulé en formant plusieurs branches, telles de maléfiques membres qui avaient peu à peu pris possession du papier. Alice réprima un haut-le-cœur et ferma sèchement le livre. Elle étudia la couverture de lin taché, sur laquelle était dessiné le portrait de l'un de ces fameux pirates sorciers. Alice voulait en apprendre plus. La légende de ce navire ne faisait plus aucun doute. Mais celle de son équipage se devait d'être bien plus intéressante... Elle savait parfaitement ce qui avait éclaboussé l'ouvrage qu'elle tenait dans les mains. Le souvenir était bien trop récent.
De petites chatouilles au niveau de son pied la détournèrent de ces sombres souvenirs.
Une petite créature se frottait à ses chaussettes. Ses poils fins étaient d'une telle blancheur, que le sol impeccable paraissait à côté bien moins raffiné. Ses deux fragiles oreilles pointaient vers le distant plafond. Alice posa le livre et caressa gentiment l'animal délicat, tout en étudiant la perfection du petit corps si doux.
- Quand t'auras fini de lui faire les yeux doux à ton lapin tu viendras m'aider peut-être ? lui cria Kassandra.
- J'arrive Kass, t'inquiète, répondit nonchalamment la petite blonde qui prit doucement le léger mammifère dans ses bras avant de rejoindre son amie.
Celle-ci prenait à elle seule une table de cinq personnes. Des dizaines de feuilles et autant de fournitures, dont l'utilité de certaines était largement discutable, étaient éparpillées sur le bois peint. Comme à son habitude, la chevelure de feu détonnait au milieu de ce bric-à-brac.
- Non mais tu t'es vue ? Une vraie maman ! gloussa t-elle en voyant le lapin.
- J'aurais préféré « merci de t'être déplacée ma chérie pour me faire profiter de ton savoir incroyable, surtout que je ne sais pas lire un énoncé » mais bon j'imagine que ce sera pour une prochaine fois... rétorqua Alice.
- Nianiania très drôle mademoiselle, viens plutôt voir ce que j'ai lu un bon paquet de fois sans rien comprendre...avant que je le bouffe ce truc.
Elle posa le petit animal sur la table et se pencha sur le livre ouvert devant Kassandra. Une fraction de seconde plus tard, un sourire amusé apparu sur ses lèvres.
- Ah non ! T'as pas intérêt à me dire que c'est trop facile et tout ça...que je suis pas douée... commença son amie.
- Kass...
- Quoi ? T'y comprends un truc toi ?
« Un réactif est chimio-sélectif s'il réagit préférentiellement avec une ou plusieurs fonctions d'un composé polyfonctionnel » lit-elle à haute voix en fronçant les sourcils.
- On s'en fiche de ça, ce qu'il faut retenir c'est que si tu mélanges n'importe quoi dans ton chaudron, ça risque pas vraiment de se passer comme prévu ! expliqua Alice.
- Tu veux pas me montrer ce que t'as fait toi à la place de faire ta mademoiselle-je-sais-tout ?
- Faudrait déjà que j'ai commencé quelque chose...
J'ai surtout pas du tout la tête à ça, pensa t-elle.
Kassandra poussa un grand soupir et ferma son livre d'un coup sec.
- Ouais bah moi j'ai un point tactique avec l'équipe, alors ça attendra ! dit-elle en jetant violemment ses affaires dans son sac. Je vais laisser l'artiste et son magnifique modèle ici hein... grogna t-elle.
Elle ponctua sa dernière phrase d'un regard hautain adressé à Margot et Julie puis sortit en trombe de la pièce. Alice haussa un sourcil étonné et interrogea les deux intéressées du regard. L'artiste prit la parole :
- Elle m'énerve ! Pourtant je lui ai expliqué que ses traits étaient pas assez simples à reproduire, que le portrait c'était pas facile du tout à faire, et que j'avais moins de mal avec Margot, et forcément elle l'a mal pris !
La petite blonde soupira et leva les yeux au ciel. Kassandra pouvait parfois être parfaitement insupportable.
Sur le chemin conduisant au stade, la jolie rousse vit un grand nombre d'élèves malgré le froid, qui lui jetèrent des regards mauvais. Depuis des semaines que cela durait, elle s'y était habituée, mais ne pouvait s'empêcher d'avoir un mauvais pressentiment. Arrivée dans l'ombre des gigantesques gradins, elle entendit des éclats de voix. Kassandra se précipita sur le terrain. Deux groupes semblaient opposés, situés à quelques mètres l'un de l'autre, leurs membres se toisant du regard. Elle reconnut les Serres Vengeresses d'un côté, tandis que l'autre attroupement était bien plus conséquent, rassemblant des élèves de tout âge.
- Eh bien c'est parfait tout ça, il manquait que ta petite pute rousse pour que ton équipe de tricheurs soit au grand complet ! s'exclama une voix, que la jeune fille identifia rapidement comme celle de Alban Simon.
Hugo Hoffmann, le grand costaud poursuiveur des Serres Vengeresses, voulut se précipiter sur le garçon qui venait de parler. Le capitaine des Aigles, Thomas Rajden, placé devant lui, le retint du bras. Il regardait avec mépris Alban Simon, capitaine des Vifs Flamboyants, qui semblait avoir rameuté la moitié de l'école avec lui. Kassandra se faufila aux côtés de Lucie Leroy, peu heureuse de s'être fait insulter dès son arrivée.
- Qu'est-ce que vous désirez au juste ? On a gagné à la loyale votre putain de match, on y est pour rien dans ce délire des Cognards, et les pertes étaient aussi importantes de notre côté, dit Thomas d'un ton mesuré, diplomatique.
- Arrête tes conneries, presque toute notre équipe ne peut plus jouer ! Nos joueurs sont défigurés, et bizarrement ça vous arrange bien non ? C'est pas juste que vous pouvez continuer à jouer après ce qui s'est passé ! rétorqua Alban Simon, des éclairs dans les yeux.
- Juste ? Non mais tu déconnes ou bien j'ai pas bien suivi ? Tu crois que tu peux venir nous parler de justice, avec tous tes coups bas, comme ta putain de pétition là ? gronda Hugo Hoffmann.
- Vous savez quoi ? Vous allez nous dire tout de suite ce que vous avez fait, sinon... s'écria le capitaine des Vifs Flamboyants en sortant sa baguette.
Par réflexe, les Serres Vengeresses firent de même. Kassandra commençait à mesurer l'ampleur de la situation. Les dégâts qu'avaient subis les Lynx étaient si importants qu'ils ne pouvaient plus jouer de la saison. Mais qu'est-ce qui s'était donc passé sur le terrain à la fin du match ?
- Alors Thomas ? T'as peur ? Ça va être compliqué de nous faire tomber de nos balais là... continua Alban, un sourire mauvais sur les lèvres, qui pliait étrangement son visage.
- Si ton « équipe » c'était pas juste une bande de fragiles qui ne savent pas contrôler leurs balais, ils seraient peut être restés dessus... cracha Lucie.
- Tenta... commença le capitaine des Vifs Flamboyants.
- Prote...
- Experliar...
La tension entre les deux groupes venait d'exploser lorsqu'une voix puissante se fit entendre à l'entrée du stade :
- STOP ! On arrête tout merci, libérez le terrain !
Tout le monde pivota vers cet invité surprise, stupéfait. Quelques maléfices ratèrent leur cible. Il s'agissait du capitaine des Crocs d'Argent, ses joueurs parfaitement alignés derrière elle, leurs balais à la main. Un visage de guerrière, des cheveux courts d'un noir de jais. Son équipe avait remporté le championnat de l'année dernière en écrasant tous leurs concurrents. Leurs maillots étaient d'une blancheur impeccable. L'esquisse d'un loup gris était visible sur leur torse.
- C'est pas tes affaires Loïs ! grogna Alban Simon.
- Oh je crois bien que si...j'ai réservé ce terrain aujourd'hui pour broyer l'équipe des Ours au prochain match...alors que ta petite équipe de rigolos n'est même plus dans la compétition... répondit cette dernière.
L'équipe des Crocs d'Argent ricanèrent derrière elle.
- Ceci étant dit, ça me concerne d'autant plus car cette année je suis Tutrice, et la Direction ne sera pas contente d'apprendre que deux des équipes de son école viennent se battre sur le terrain de Quidditch... continua t-elle, tout en avançant rapidement dans la direction des belligérants.
Le regard du capitaine de l'équipe écartée du tournoi faisait des allers retours entre la Tutrice menaçante, qui s'approchait avec de grandes enjambées, et le sourire triomphant de Lucie Leroy et de Hugo Hoffmann. Lorsque les Loups ne furent plus qu'à quelques pas, il baissa sa baguette et fusilla du regard les Serres Vengeresses.
- Vous avez encore de la chance...mais profitez bien, on va vous en faire baver... menaça t-il avant de se retourner.
- T'as peur d'une Tutrice Alban ? se moqua l'un des membres de son équipe, dont les nombreuses blessures étaient bien visibles.
- La ferme.
Sur ces mots il intima à toute sa troupe de le suivre, s'éloignant avec la même tête qu'un enfant privé de dessert.
- Merci, ce gars là a vraiment un problème, remercia Thomas lorsque Loïs Strijder fut à sa hauteur.
- Pas de quoi...pitoyable... répondit-elle en enfourchant son balai.
Un instant plus tard, les Crocs d'Argent s'élevèrent à plusieurs mètres du sol, en cercle autour de leur capitaine. Sa voix puissante portait jusqu'en bas.
- Bon on commence à fond : je veux huit tours, trois passes, une feinte d'attaque et un tir cadré. Pigé ?
Les poursuiveurs acquiescèrent et s'élancèrent aux quatre coins du terrain. Les Serres Vengeresses rejoignirent le bord de ce dernier et observèrent la technique impressionnante de leurs adversaires.
- Regardez cette feinte là...faudra me sortir ça au prochain match...ils sont parfaitement coordonnés...ça c'est un capitaine... murmura Thomas sans lâcher Loïs Strijder des yeux.
Assise sur son lit, Alice déchira l'enveloppe avec empressement. De longues boucles assurées parachevaient une écriture parfaitement académique. Les mots étaient choisis avec soin. Sans attendre plus, elle lut d'une traite son contenu :
Chère Alice,
J'espère que votre soif de connaissances peut déjà profiter des nombreux ouvrages que je vous ait conseillé, et que vous commencez à comprendre la vie et l'organisation de ces pirates, invisibles pour le reste de notre Histoire. J'avoue prendre beaucoup de plaisir en me replongeant dans mes anciennes recherches, fougueuses et déterminées comme vous semblez l'être. J'imagine qu'il s'agit de la jeunesse ? Nos vieux dirigeants préfèrent enfouir les points noirs de l'Histoire, là où il faudrait, au contraire, les explorer pour les comprendre.
À ce propos, comment va votre sœur ? J'espère que l'agitation actuelle du Ministère ne lui mène pas la vie dure. De même, je souhaite très fortement que ses nombreuses autorisations ne soient pas révoquées, comme cela semble être le cas pour un grand nombre de mes confrères traitant avec le Ministère. Je lui enjoins également de faire preuve de la plus grande prudence lorsqu'elle accède à ces bibliothèques spécialisés, qui renferment, entre autres, un savoir interdit. Étant donné l'état actuel de la suspicion du Ministère, ses petites « escapades » tout autour du globe pourraient être très mal vues.
En continuant mes recherches à Londres, je suis tombé sur de véritables collectionneurs, tenant de gigantesques registres répertoriant une quantité, que je n'espérait pas aussi importante, d'ouvrages traitant de la piraterie chez les Sorciers. Il va me falloir quelques temps pour explorer ces listes, afin de trouver les pièces relatives à ce mystérieux « Hope Sweeper » qui, il est vrai, m'intrigue tout autant que vous.
Pour la suite de vos recherches, je peux néanmoins vous recommander d'explorer les registres des différentes forces navales moldues de l'époque, afin de trouver les marins qui semblent s'être enrôlés dans un équipage de pirates. Je me charge de la marine britannique bien entendue. Votre sœur pourra trouver les autres registres dans les lieux suivants : Château de Vincennes dans le Pavillon de la Reine (françaises), Palacio del Marqués à Santa Cruz (espagnoles), Arquivo Histórico de Marinha à Lisbonne (portugaises) et Nationaal Archief à La Haye (néerlandaises).
Dans l'espoir d'en savoir plus bientôt,
Sincèrement,
Sir Bragnam
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