La semaine de vacances qui suivit la soirée d'Halloween passa très vite. Kassandra, Margot et Julie étaient rentrées pour voir leur famille. Alice leur avait dit tristement au revoir. Elle les enviait. Cette solitude lui permit cependant de se concentrer entièrement sur ses recherches. Elle progressait plutôt vite. L'excitation était présente à la découverte de chaque nouveau livre. Mais il y avait autre chose. Chaque jour, de nouvelles histoires apparaissaient dans certains journaux. Des témoignages de personnes chez qui le Ministère avait débarqué sans prévenir, retourné leur maison et arrêté l'un de leurs proches. On trouvait dans d'autres les déclarations des porte-paroles du Gouvernement, qui s'évertuait à justifier l'action de ses services. Alice ne redoutait qu'une chose : que le Ministère s'aventure à Beauxbâtons. Et compte tenu de la situation actuelle, cela pouvait arriver n'importe quand.
Par un bel après-midi, Alice arpentait les Jardins, cherchant un coin tranquille pour travailler. Une large partie des élèves était encore chez eux, ce qu'il fait qu'elle trouva rapidement une petite enclave de verdure, encadrée par de hautes haies. Une longue table de pierre, un banc, quelques arbres, personne : pile ce qu'il lui fallait. Elle posa ses petites jambes sous la table et sortit ses affaires de son sac de cuir. En levant brièvement les yeux vers le ciel azur, elle pensa à Kassandra qui devait s'acharner sur son balai chez elle, s'entraînant une dernière fois avant le premier match de la saison. À mesure que les minutes passaient, la plume d'Alice s'activait et les pages se retrouvaient noircies de son écriture méticuleuse. Il ne lui fallait pas plus d'une microseconde pour répondre aux questions des exercices donnés par ses professeurs pour les vacances, si bien qu'elle ne s'arrêtait presque jamais d'écrire. Régurgiter ce qu'elle apprenait en cours l'ennuyait profondément. Ce qu'elle préférait c'était la pratique. La pratique d'une magie avancée qui n'était pas du tout au programme de Deuxième-Année à l'Académie de Magie de Beauxbâtons. Elle mit un point final à son devoir de Sortilèges, puis n'y tenant plus, elle sortit sa baguette de sa robe et s'apprêta à effectuer un mouvement compliqué.
Des voix se firent entendre, ayant raison de sa concentration. Alice poussa un soupir d'exaspération et jeta furtivement un coup d'œil à ceux qui osaient venir la déranger. Des garçons, un petit blond et un grand brun. La jeune fille connaissait ce dernier. Il s'agissait de Romain Bret, le fils de la Directrice Adjointe de l'école. Son sport favori était de rapporter tout ce qu'il pensait interdit à sa mère. Il avait déjà plusieurs fois dénoncé Alice l'année précédente. Les deux intrus parlaient d'une voix forte, haut-perchée. Sa main se crispa sur sa baguette. S'en servir pour se venger de ce cafteur était très tentant...
- ...va être le premier match de Quidditch que tu vas voir Samedi au fait ! Il faut que je t'expliques les règles ! dit Romain Bret en s'adressant au petit blond, tout en jetant un regard curieux à la jeune fille, qui tenait sa baguette d'une manière menaçante.
Celle-ci inspira profondément, rangea sa baguette et s'attela malgré elle à son devoir de Potions. Elle devait arrêter de penser à faire ce genre de choses. Cela ne lui apporterait que des ennuis. Et étant donné la situation actuelle du pays, ce n'était pas du tout le moment de recommencer à fuir. Elle devait décrire avec précision les étapes pour réaliser une potion de Sang-Azur. Quelque chose de simple, mais qu'elle avait oublié de rendre à la date prévue. Elle devait donc le faire en triple et le rendre Vendredi, dernier délai. Sachant qu'elle endurerait bien pire si son professeur s'apercevait que les copies étaient identiques et d'origine magique, elle commença à rédiger à la main trois versions du devoir, chacune d'entre elles possédant son lot de fautes soigneusement sélectionné.
Les deux garçons s'assirent à quelques mètres d'elle, sous un arbre.
- ...le Quidditch est un sport sorcier, donc t'imagines bien qu'on va pas faire comme ces Moldus... expliqua Romain Bret.
- Euh tu sais que mes parents ne sont pas des sorciers ? le coupa l'autre, paraissant légèrement offensé.
- Oui oui bien sûr je ne disais pas ça pour toi ! Ils me font juste rire les Moldus quand ils courent après une seule balle, se rattrapa précipitamment le grand brun.
Super, rien de mieux qu'un rappel des règles du Quidditch pour m'aider à faire mes devoirs... pensa Alice.
Elle aurait bien mis ses écouteurs pour s'isoler et ne pas être obligée d'écouter cette conversation inintéressante, mais les objets appartenant au monde des non-sorciers, ou des Moldus comme on les appelait, étaient strictement interdits à Beauxbâtons. De plus, la jeune fille têtue ne voulait pas changer d'endroit, alors qu'elle était arrivée ici en première. Et puis si cela pouvait agacer ce grand imbécile, c'était encore mieux.
- ... tous les joueurs sont en l'air sur leurs balais volants. Chaque équipe est composée de sept joueurs. Trois d'entre eux sont les poursuiveurs. Leur rôle est de marquer le plus de buts possibles en jetant le Souafle, une grosse balle rouge, à travers l'un des trois anneaux dorés situés dans la zone d'en-but adverse...
Étape 8 : Couper le rubis en petits morceaux à la lumière de la pleine lune, en fredonnant une comptine de Noël. Alice trouvait que son dessin de rubis ressemblait plus à une patate qu'à autre chose.
- ...chaque équipe possède un gardien qui doit arrêter le Souafle avant que celui ne passe à travers...
- Ça va je sais ce que c'est un gardien ! s'exclama le blond, manquant de faire exploser les oreilles d'Alice.
Étape 12 : Remuer la préparation dans le sens anti-horaire et déposer, une par une, les ailes de coccinelles dans le chaudron, avec 30 secondes d'intervalle entre chaque aile. La pression qu'elle exerçait sur sa plume augmentait.
- ...le joueur suivant est l'attrapeur, c'est le joueur le plus important de l'équipe. Il doit attraper une minuscule balle dorée, le Vif d'Or qui est lâchée en début de partie, avant l'attrapeur adverse. Cette balle est très rapide et très difficile à attraper ! récita le grand brun.
Étape 16 : Placer la préparation à proximité de scies musicales, et laisser reposer jusqu'à l'éclosion des graines de Brocéliande. La timbre de monsieur-je-sais-tout de la voix de Romain Bret était particulièrement agaçant.
- ...et les batteurs ? À quoi ils servent ?
- J'allais y venir ! Jusqu'à maintenant nous avons deux balles : le Souafle rouge et le Vif d'Or. Il y a en vérité quatre balles au Quidditch. Les deux dernières sont les Cognards. Ces petites saloperies sont des balles ensorcelées lourdes qui n'ont qu'un but : faire tomber le plus de joueurs possibles en leur fonçant dedans !
- Et les batteurs doivent les éloigner de leur équipe en frappant dedans avec leur batte !
- Oui c'est ça, t'as tout compris ! Les batteurs essayent de les renvoyer directement sur les joueurs de l'équipe adverse !
Étape 25 : Une fois que vous voyez le trèfle à quatre feuilles qui bondit dans le chaudron et qui essaye de s'échapper, réglez lui son compte en ajoutant les billes chinoises. Attention, pour les ajouter il faut faire obligatoirement deux ricochets avec chaque bille à la surface de la potion. Elle fit une grosse tache sur sa feuille et jura à voix basse.
- ...et du coup comment on sait qui a gagné ?
- Lorsqu'un poursuiveur marque, il rapporte 10 points à son équipe. L'équipe avec le plus de points à la fin du match gagne. Mais il y a un petit truc subtil : tu te rappelles du Vif d'Or ? Bah lorsqu'il est attrapé par l'un des attrapeurs, celui-ci rapporte 150 points à son équipe et le match se termine. Attraper le Vif d'Or est l'unique façon de terminer un match de Quidditch. Certains peuvent durer pendant des jours, voire des semaines !
Étape 32 : Présenter les Picasso au génie. Après avoir obtenu son accord, faites trois tours sur vous-même et lancez en cloche l'Oeil du Néant. L'œil doit retomber pile sur la langue d'Ornithorynque, sinon la préparation aura un léger goût de chou avarié.
- ... on va voir si j'ai bien compris : Deux équipes, Sept joueurs dans chaque. Ils volent tous sur des balais. Les poursuiveurs doivent marquer des buts en faisant passer le Souafle à travers les anneaux adverses. Le gardien doit empêcher les poursuiveurs adverses de marquer. Chaque but rapporte 10 points. L'attrapeur doit attraper le Vif d'Or, qui rapporte 150 points et est la seule façon de terminer le match. Mais les joueurs sont embêtés par les deux Cognards, des boulets ensorcelés qui font tomber un maximum de joueurs des deux équipes. Le job des batteurs est de protéger leur équipe en renvoyant les Cognards sur l'équipe adverse. Lorsque le Vif d'Or est attrapé, l'équipe qui a le plus de points gagne le match !
- Oui tu as tout compris ! hurla Romain Bret.
Alice peinait à écrire, sa main droite tremblait. Il n'y avait rien à faire, elle ne pouvait pas se concentrer avec ces deux idiots qui criaient à côté d'elle. Furieuse, elle rangea toutes ses affaires et se leva, décidée à changer d'endroit. N'importe où, mais loin de ces abrutis. Des abrutis qui parlaient de Quidditch en plus. En passant devant eux, le grand brun lui adressa un sourire.
- Salut Alice, tu es jolie aujourd'hui, dit-il gentiment.
L'intéressée détourna brusquement la tête. Ses boucles blondes vinrent danser devant son visage, sur lequel se voyait sa fureur maladive.
Qu'est-ce qu'il me veut celui-là ? pensa t-elle avec toujours autant de rage.
Sans adresser de nouveau regard à Romain Bret, elle sortit de l'enclave de verdure, un peu déstabilisée par ce compliment. Ces derniers temps, cette frénésie dans ses recherches la poussait à cran. Elle devait néanmoins apprendre à se contrôler, car la colère agissait sur son esprit comme une puissante substance illicite. Et elle avait besoin d'avoir les idées claires pour sa prochaine escapade nocturne.
Le soir du surlendemain, les bottes noires d'Alice glissaient sur le carrelage de l'immense couloir. Elle ne s'attarda pas sur les superbes boiseries au plafond, ni même sur la finesse du marbre cisaillé avec soin, son pas était rapide et déterminé. Les personnages des tableaux accrochés aux murs la regardait passer, chuchotant sans bruit. Au détour d'un couloir, elle s'arrêta net, surprise. Un rai de lumière débordait d'une porte entrouverte. Elle s'approcha discrètement. Deux voix étouffées parvinrent à ses oreilles, à peine audibles, masquées par un petit bruit d'eau qui coule :
- Non pas ici...mmmh... t'as perdu la tête ?
- Allez quoi, personne ne peut nous voir...encore moins nous entendre...
- C'est vrai...et puis t'es tellement sexy comme ça...
Les voix s'étaient tues, laissant la place à d'écœurants bruits de ventouse. Alice regarda rapidement la montre à son poignet, qu'elle possédait depuis l'année dernière. Le cadran ne possédait pas de chiffres, mais douze symboles. Après avoir vu que l'aiguille se rapprochait du signe du Bélier, elle risqua un œil à l'intérieur. Elle ne distingua rien à travers la vapeur dense, légèrement rose, qui semblait remplir toute la pièce. Comprenant qu'elle ne risquait rien, Alice passa devant la porte et se hâta le long du couloir, abandonnant les soupirs langoureux du couple. Enfin, au bout du couloir, elle se heurta à un mur. Un cul-de-sac. Elle fit glisser ses doigts sur la pierre froide, tout en marmonnant quelques mots, sa baguette dans l'autre main. Une petite porte en chêne, d'apparence banale, se matérialisa devant elle. Elle s'y engouffra. La porte se referma derrière elle et reprit immédiatement la couleur du mur.
L'école était remplie de passages secrets, mais une fois découverts, la plupart n'étaient plus tellement secrets que ça, et chaque semaine le personnel en scellait magiquement toute une flopée. Celui-ci était cependant loin des Thermes Éblouissants ou bien de la Féerie Symphonique - parmi les plus connus. Le passage taillé directement dans la pierre était étroit et plongé dans l'obscurité. Alice avança rapidement, la baguette levée. Celle-ci projetait une lumière aveuglante qui éclairait ses pas. Une nouvelle porte franchie, et le décor changea. D'innombrables étagères remplies à craquer de livres de toutes tailles s'étiraient du sol au plafond. En levant la tête, elle ne voyait pas ce dernier, les titanesques tours se perdant dans les ténèbres profonds. S'enfonçant dans ce dédale sentant le renfermé et le vieux papier, Alice se retrouva enfin dans le rayon qui l'intéressait. Elle sortit aussitôt son carnet. La petite bête dessinée dessus sembla lui sourire alors qu'elle l'ouvrit. Parcourant les innombrables notes plus ou moins organisées et hiérarchisées, elle se mit à arpenter le rayon. Chaque titre des ouvrages soigneusement rangés dans celui-ci était empreint d'Histoire.
Quelques heures plus tard, Alice ouvrit lentement les yeux. La lumière du soleil qui entrait à flots dans le dortoir ne semblait pas l'atteindre. Elle ricochait, laissant son visage dans l'ombre mais illuminant tout le reste de la pièce, faisant scintiller les bijoux oubliés sur les tables de nuit et étinceler les miroirs disséminés sur les murs. Toutes les occupantes du dortoir étaient déjà parties, certaines dans la hâte, leur effets jetés pêle-mêle sur leur lit défait, d'autres pile à l'heure, comme l'attestaient les lits impeccablement bordés. Elle se redressa sur ses coudes. Le soleil et l'état du dortoir ne pouvait signifier qu'une chose : elle s'était encore réveillée trop tard, le sortilège qu'elle avait trouvé pour s'endormir sans cauchemars était définitivement trop puissant. Alice ne craignait pas vraiment de rater les cours, mais plutôt d'attirer l'attention. Et c'était bien quelque chose qu'elle se devait d'éviter.
L'esprit encore embrumé, elle repoussa ses draps, se leva et s'avança vers la fenêtre, qu'elle ouvrit en grand. Le vent frais se glissa entre ses mèches blondes et vint lui caresser les oreilles. Elle pouvait voir les hautes tours du palais qui jouaient à cache-cache avec les nuages. Une clameur s'éleva soudain, couvrant le doux murmure du vent. La jeune fille se frappa le front. Elle n'avait pas cours aujourd'hui, on était Samedi.
Évidemment, c'était le jour où il ne fallait pas faire la grasse mat' ! songea t-elle en s'habillant précipitamment, pendant que son lit se bordait de lui-même derrière elle.
Elle sortit du Pavillon au pas de course, puis traversa le parc battu par le vent. Elle connaissait le chemin le plus court par cœur, passant dans les trous à peine visibles des haies, enjambant les canaux où coulait une eau claire, se glissant sur les terrasses ombragées prisées des amoureux. Le bruit s'intensifiait. Elle s'en voulait tellement d'avoir raté le début du match. Mais ce n'était pas parce qu'elle aimait ce sport débile, loin de là. Au détour d'un chemin, elle aperçut enfin le stade, ou plutôt les gradins qui s'élevaient à perte de vue. Il était cependant hors de question qu'elle cherche une place pendant des heures, pour ensuite ne plus pouvoir bouger les jambes, compressée par deux élèves aussi stupides que laids. Elle connaissait un endroit qui lui permettait de voir parfaitement ce qui se déroulait sur le terrain, tout en lui laissant le loisir de s'allonger et de prendre toute la place qu'elle voulait.
La vieille volière était située au bout d'un chemin tortueux qui donnait l'impression de ne pas avoir été entretenu depuis des années. Cependant les branches brisées et la mauvaise herbe piétinée trahissaient une circulation régulière. Lorsque Alice enjamba l'encadrement d'une fenêtre qui avait disparue depuis longtemps, elle ne s'étonna pas d'entendre des conversations excitées. Elle monta quatre à quatre les marches vermoulues et se retrouva sur ce qui restait du toit de la tour. Quelques têtes connues la saluèrent, elle leur répondit machinalement sans leur adresser un regard, scrutant le ciel à la recherche d'un éclair roux. Elle s'en voulait tellement de ne pas avoir pu accompagner son amie jusqu'au stade. Quelques secondes lui suffirent pour la remarquer. Sa chevelure écarlate se détachant de sa tenue noire, Kassandra virevoltait sur son balai avec une grâce inimitable, zigzaguant pour tromper ses poursuivants.
Puis, s'accrochant au Souafle aussi rouge que ses cheveux, elle entreprit de foncer vers les buts adverses. Parvenue à la limite de la surface, elle effectua un tonneau pour éviter un Cognard mais ne vit pas l'un de ses adversaires ambré qui se porta violemment à son contact, manquant presque de la faire tomber. Alice jura. L'équipe adverse récupéra le Souafle, traversa le terrain en sens-inverse et s'empressa de le faire passer à travers l'un des anneaux dorés, sans que le gardien ne parvienne à l'arrêter. L'annonce du score eut l'effet d'une bombe sur le toit de la vieille tour. Les Serres Vengeresses étaient devancées de quarante points par les Vifs Flamboyants.
Les cris de la foule, légèrement étouffés par le vrombissement du vent, résonnaient à ses oreilles. Encore un peu sonnée par le choc, Kassandra chassa une mèche rebelle, retroussa les manches de sa robe sombre bordée de jaune et plongea vers le sol à toute vitesse. Ses coéquipiers étaient déjà en train de frôler le labyrinthe de haies taillées qui s'élevait à plusieurs mètres au dessus du sol, sur les talons des trois poursuiveurs des Vifs Flamboyants qui volaient en formation serrée, protégeant la balle comme si leur vie en dépendait. D'un seul coup le trio se sépara, chacun des joueurs partant dans une direction différente. Kassandra choisit de suivre le moins rapide, croyant avoir aperçu le Souafle écarlate dans ses mains. Puis la foule explosa.
Les attrapeurs des deux équipes convergeaient vers le même point, ce qui signifiait très probablement qu'ils avaient repéré le Vif d'Or, la minuscule balle dont la capture permettait de terminer le match. Profitant de cette diversion, la jeune fille s'élança, l'aigle brodé dans son dos sembla ouvrir ses ailes alors qu'elle subtilisait le Souafle des mains de son adversaire. Avant que celui-ci n'ait eu le temps de s'en rendre compte, elle fit la passe à Hugo Hoffmann, son coéquipier poursuiveur des Serres Vengeresses.
La voix du commentateur retentit aux oreilles d'Alice :
« MAGNIFIQUE PASSE DE ROSALES... HOFFMANN.... IL S'APPROCHE DE LA SURFACE.... ET BUUUUT ! »
Le stade s'enflamma une nouvelle fois, et trois fois encore, à la suite de chaque but des Aigles qui finirent par égaliser. Le match était relancé. La tension était palpable entre les joueurs, plus d'une fois au bord de la faute. Les Vifs Flamboyants se montraient de plus en plus violents à chaque balle disputée.
Alice fulminait.
Dégoulinante de sueur, Kassandra et ses coéquipiers faisaient des allers-retours incessants sur le terrain. Aussitôt le Souafle en leur possession, qu'une dangereuse manœuvre des Vifs Flamboyants leur faisait perdre la balle. Cependant leurs adversaires n'avaient pas plus de facilités pour marquer, la défense des Serres Vengeresses tenait bon, du moins pour le moment. De nouveaux cris. Les batteurs des Vifs Flamboyants avaient réussi à désarçonner Théo Leroux, le gardien des Aigles, qui s'écrasa sur le sol avec fracas, une dizaine de mètres plus bas. Privées de leur joueur essentiel, les Serres Vengeresses comprirent que la victoire s'éloignait d'eux, à la vitesse d'un Éclair de Feu.
Mais leur malheur ne devait pas s'arrêter là puisque quelques minutes plus tard, l'un de leurs batteurs, la mâchoire ensanglantée, atterrit maladroitement sur le sol et s'écroula, inconscient. Ce fut rapidement au tour de Kassandra de se faire harceler par les Cognards, systématiquement envoyés avec précision sur elle par les batteurs adverses. Ils étaient doués. Bien plus que le dernier batteur et capitaine des Serres Vengeresses, Thomas Rajden, qui tentaient tant bien que mal d'escorter Kassandra pour la protéger des assauts incessants des Cognards. Et ce qui devait arriver arriva : Thomas manqua son coup et l'un des Cognards écorcha le bras de la jeune fille, lui arrachant un cri perçant.
C'en était trop pour Alice. Le Quidditch était sanglant, horrible, et le pire, c'était que ce qui venait de se passer était parfaitement conforme aux règles, le match continuait, les Vifs Flamboyants s'en donnant à cœur joie en marquant des dizaines de buts, sous l'œil médusé des Serres Vengeresses restantes, épuisées et inférieures en nombre. Elle ne voulait pas que son amie souffre encore plus de son don pour ce sport aussi nauséeux que brutal. Mue d'une rage sans précédent, Alice fixa d'un œil ardent les Vifs Flamboyants rieurs. Elle s'était levée. Plus rien n'existait autour d'elle, plus rien n'avait d'importance, à l'exception de la colère qui bouillonnait dans ses veines.
Contrôle toi Alice, ne fais rien de stupide ! supplia vainement une faible voix dans sa tête.
Ses cils ne battirent pas. Son regard ne se détacha pas une seule seconde des joueurs. Son objectif était clair, le pouvoir remontait ses artères comme un cocktail de protéines.
Les membres zébrés de coupures, de chaudes larmes coulant sur ses joues, Kassandra observait la défaite de son équipe. Ses mains étaient gelées. Elle n'avait plus la force de continuer. D'un œil morne, elle vit l'attrapeur des Lynx plonger subitement, la main tendue.
Il va enfin l'attraper, ce calvaire est terminé, se dit-elle.
Ce fut à ce moment précis que la foule, tendue à bloc, déchira une nouvelle fois le ciel de ses cris horrifiés.
« MAIS QUE SE PASSE-T-IL ENFIN...JE N'AI JAMAIS VU DES COGNARDS ALLER AUSSI VIT.. JE..... JE RÊVE ! HARCELÉS PAR LES COGNARDS FOUS, LES VIFS FLAMBOYANTS SEMBLENT AVOIR PERDU LE CONTRÔLE DE LEURS BALAIS ! VOICI SIMON QUI SE RAPPROCHE DANGEREUSEMENT DES GRADINS... OH MON DIEU ! LE CHOC A DÛ ÊTRE TERRIBLE ! E.. »
Elle n'entendit plus rien. La foule et les vociférations du commentateur se changèrent en écho lointain puis disparurent totalement. L'adrénaline vint une dernière fois lui donner l'énergie nécessaire. Son objectif se trouvait au sol, au milieu d'une haie. À la seconde où Kassandra posa la main sur la balle écarlate, sa vue se brouilla. Alors un coup de sifflet surpuissant fit vibrer ses tympans, elle se sentit tomber de son balai, puis les ténèbres l'engloutirent.
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