Lorsqu'Alice poussa la lourde porte en chêne en compagnie de Julie et de Margot, une soudaine bouffée de chaleur l'envahit. La pièce lui était pourtant familière, mais la différence de température avec le reste du Palais était telle qu'elle ne pouvait s'empêcher d'être surprise à chaque fois qu'elle en passait le seuil. Des rangées de lits s'alignaient le long des hauts murs de pierre blanche, rejoints au plafond par une multitude d'arcades finement ouvragées. Une mince ligne de feuille d'or courait sur les murs de l'infirmerie, dessinant à certains endroits de petits motifs délicats.
- Vous venez pour ? demanda un guérisseur entièrement vêtu de blanc, le blason de l'école brodé sur son habit.
- Kassandra Almanza Rosales, répondirent en cœur les trois amies.
L'homme consulta un registre, puis déclara :
- Elle est réveillée, vous la trouverez au lit numéro 474, rangée...
- Oui oui on sait, coupa Julie avant de s'engager dans l'allée principale.
- Désolé, s'excusèrent précipitamment Alice et Margot avec un sourire coupable, avant de suivre leur amie.
Elles se dirigèrent vers le fond de la salle, passant devant des élèves présentant de graves fractures, d'autres des brûlures au troisième degré. Elle reconnurent parmi eux certains joueurs des Serres Vengeresses, saluèrent rapidement ceux qui étaient réveillés mais ne s'attardèrent pas. Les guérisseurs s'affairaient autour des lits, maniant des fioles et rassurant les patients. Quelqu'un criait de douleur lorsqu'elles passèrent devant un lit aux rideaux tirés.
- Voulez vous bien essayer de vous tenir tranquille monsieur Simon ? La potion doit rester sur vos blessures, le temps que le docteur puisse opérer...et ça ne fait pas si mal que ça, maugréa une voix qui venait de derrière les rideaux.
- Je donnerais beaucoup pour voir sa tête, paraît qu'il s'est pris un siège en pleine face ! chuchota Julie.
- Pouah ça doit pas être très sympa à voir, répondit Margot en faisant la grimace.
- Attends c'est Alban Simon meuf, imagine un peu : Emma va avoir du mal maintenant à se vanter de son frère trop populaire, capitaine des Vifs Flamboyants et nia nia nia ! se moqua Alice.
Quand cette dernière vit Kassandra réveillée, la tête calée dans plusieurs oreillers moelleux, sa tignasse rousse rassemblée à côté de sa tête, elle voulu lui sauter au cou. Mais en s'approchant un peu plus, elle eut un bref mouvement de recul. Kassandra avait le teint très pâle et semblait encore faible. Pourtant, ses yeux verts étaient grands ouverts et un petit sourire se dessina sur ses lèvres.
- Tiens voilà ma blondinette préférée, souffla t-elle d'une petite voix.
- Et nous on est transparentes ? s'indigna Julie.
- Tu sais que ce n'est pas la première fois qu'on vient te voir ? Tu en as mis du temps à te réveiller ! s'exclama Margot.
- Oh oui on m'a raconté que vous êtes venues plusieurs fois depuis hier, vous être vraiment les meilleures, sourit de plus belle Kassandra en dévoilant ses dents.
Deux d'entre elles étaient légèrement déplacées, témoins des chocs violents qu'elle avait dû endurer tout au long du match.
- Et c'est que quand tu ressembles à un lapin que tu t'en rends compte ? la taquina Julie.
- Tu vas voir qui va ressembler à un lapin lorsque je vais sortir, rétorqua Kassandra.
- Bref...j'ai...on a eu très peur Kass, il faut qu'on te raconte ! avoua Alice.
- J'ai cru comprendre qu'on a gagné oui ! s'écria en se redressant d'un seul coup la jolie rousse.
- Oui, mais attends d'entendre la suite...commença Margot.
- Pendant que c'était n'importe quoi sur le terrain, Lucie Leroy s'est élancée d'un seul coup. Elle a évité les Lynx qui avaient perdu leur balai et elle a refermé son poing direct en le levant très haut. On a tous compris que c'était le Vif d'Or ! coupa Julie, toute excitée.
Les trois filles enchaînèrent alors sur un bref récit des événements, ponctué des nombreuses exclamations de Kassandra. Ses petits yeux verts étaient écarquillés.
- Le pauvre type qui commentait n'avait plus de voix...
- Les Aigles ont gagné 150 points et le match s'est terminé dans le chaos le plus total...
- Et au moment où Lucie a atterrit, un type l'a frappée, elle est tombée par terre. C'est parti en mêlée générale !
- Même à la volière ça a commencé à s'insulter entre supporters. Ils disaient que les Aigles étaient des tricheurs, alors qu'ils ont clairement dégommé la presque totalité de notre équipe !
- Mais...c'est horrible ! s'offusqua Kassandra.
- Oui, je suis vite partie...
- Nous aussi, les surveillants, les professeurs, la direction, ils sont tous intervenus et il y a eu une pluie de punitions !
- Attendez de voir que j'aille mieux, ils vont voir ces gilipoyas !
- Du calme, tu viens de te réveiller Kass...tempéra Margot.
Un guérisseur arriva.
- La visite est terminée mademoiselle Rosales, vous devez encore beaucoup vous reposer, dit-il.
- Oh non, cinq minutes encore s'il vous plaît ! supplia Kassandra.
- Cela fera cinq minutes en moins de repos, et ce n'est pas tolérable si vous voulez vous rétablir rapidement.
Kassandra soupira et enchaîna rapidement :
- On m'a dit que je vais guérir vite, une fois que le remède aura fait effet. (Elle montra son bras à ses amies) Regardez ! La plupart des plaies se sont déjà refermées !
- Et moi qui pensait pouvoir prendre ta place à côté d'Eliot Klein en Métamorphose, répondit malicieusement Alice, un sourire en coin.
- Alors là tu n'as pas intérêt ! s'écria son amie.
Alice appuya un peu plus sur ce point faible :
- Je te conseille de te dépêcher alors...surtout qu'on a justement Métamorphose demain, dit-elle en tournant les talons.
Devant ce petit visage d'ange qui semblait réellement angoissé à cette idée, Julie et Margot ne purent s'empêcher de rire.
- Mais attendez vous allez la laisser faire ? s'écria Kassandra en tentant de se lever.
- Reste au lit Kass pour l'instant, mais tarde pas trop hein...dit à son tour Julie en faisant mine de suivre Alice.
- Margot ! Dis moi que tu vas les empêcher de faire ça hein !
- Je ne sais pas trop...moi aussi j'aimerais bien être à côté d'un luxembourgeois aussi mignon...
Elles abandonnèrent alors leur amie qui les fixaient toujours avec un air perplexe, abasourdie. Au moment de sortir de la rangée de lits, le sourire jusqu'aux oreilles, elles entendirent crier Kassandra, brusquement sortie de son mutisme :
- Ah vous trouvez ça drôle ? Je vais me dépêcher d'aller mieux et venir vous courser, insolentes ! (son accent espagnol ressortit précisément sur ce mot).
- Mademoiselle Rosales, enfin ! la réprimanda le guérisseur.
Quelques jours plus tard, la jolie rousse s'énervait de nouveau sur ses devoirs, une pile complète en retard lui était tombée dessus à sa sortie de l'Infirmerie. Alice devait encore s'être cachée dans la bibliothèque avec Margot, tandis que Julie avait tenté avec peine de l'aider, avant de se raviser et de lui parler des rumeurs sur les nouveaux maillots de l'équipe de France de Quidditch. Les températures qui avaient commencé à baisser contribuaient à remplir chaque jour de plus en plus les tables de la Salle d'Étude du pavillon des Seconde-Années. Les élèves frileux préférant le confort de cette pièce chauffée aux Jardins battus par le vent de Novembre.
- Moi je pense quand même que le coq qui fait des clins d'œil c'est pas une super idée...
- Bah en même temps tu préfères celui de l'année dernière qui chantait sans s'arrêter la Marseillaise ?
- Kass ! Qu'est-ce que tu fous ?
Lucie Leroy, l'attrapeur des Serres Vengeresses, une grande blonde taillée pour la vitesse, venait de débarquer dans la pièce. Un gros hématome violacé déformait sa joue gauche.
- Oui ?
Lucie se frappa le front, puis s'exclama :
- Mince personne ne t'a prévenue...désolé c'est un peu compliqué en ce moment...bref, Thomas veut faire un débrief' avec toute l'équipe.
- Genre maintenant ?
- Ouais tu le connais, il faut le faire tout de suite.
- Euh je range tout ça et j'arrive alors !
Kassandra rangea bien assez vite ses affaires, tandis que Julie l'harcelait pour qu'elle la laisse assister au débriefing du dernier match des Serres Vengeresses.
- Je te l'ai déjà dit cent fois, Thomas ne veut pas, il a peur que l'on nous vole nos tactiques, tout ça, tout ça...
- S'il te plaît meilleure poursuiveuse de tout l'univers ? implora la brune.
- Non, la flatterie ça marche pas, répondit Kassandra avec un sourire, même si c'est vrai, ajouta t-elle en drapant un châle léger sur ses épaules.
- Mouais, compte pas sur moi pour être là à t'attendre dans le froid hein ! répondit Julie, boudeuse.
Sachant parfaitement que ce serait le cas, Kassandra sortit avec Lucie Leroy du Pavillon. Sur le chemin menant aux terrains de Quidditch, les autres élèves qu'elles croisèrent leur jetèrent des regards mauvais. On chuchotait sur leur passage, tout en veillant à ce qu'elles puissent tout de même entendre clairement les moqueries.
- Tiens regarde qui arrive, les tricheuses...
- La pire c'est la blonde, tu te rends compte qu'elle s'est précipitée sur le Vif d'Or dès que les pauvres Lynx ont perdu le contrôle de leur balai ? C'est vraiment louche ça...
- C'est elles qu'il aurait fallu dégommer en premier, la tricheuse Leroy et sa pote rousse...
Lucie ne daignait pas répondre aux railleries, mais son visage fermé parlait de lui-même. Kassandra était outrée. Même si cette occasion incroyable s'était avérée être une parfaite coïncidence permettant leur victoire, comment pouvait-on être aussi mauvais joueur ? Aucune règle n'avait été enfreinte, personne n'avait triché ! Le volume des ricanements montait progressivement alors que les hautes tribunes du stade de Quidditch apparurent. Cela empira encore lorsqu'elles se retrouvèrent malgré elles parmi une masse compacte d'élèves. L'un d'entre eux les aborda :
- Alors les Aigles tricheurs, vous avez trouvé un nouveau moyen de gagner en tuant tout les joueurs de l'équipe adverse cette fois ? Ou bien les faire tomber de leur balai et les empêcher de jouer c'est quand même bien plus spectaculaire ?
Lucie s'arrêta et se tourna vers le perturbateur. C'était une petite brune de l'âge de Kassandra, à la voix insupportable. Emma Simon.
- T'as quoi gamine ? Si je veux je te brise avec mes deux doigts ouais...cracha Lucie.
- Hé tu vas te calmer toi, t'as pas intérêt à toucher à ma sœur ! s'interposa un garçon charpenté, possédant les yeux mauvais et l'air suffisant d'Emma.
Le reste de son visage avait un air étrange. La peau paraissait fausse, et de nombreuses blessures étaient encore visibles à sa surface. Lucie le toisa avec dégoût.
- Alban Simon ? Je me disais bien que l'excellent capitaine des Lynx se trouvait dans le coin, avec toute cette petite fourberie qui nous attendait ici...
Alban Simon n'eut pas le temps de répliquer. Un autre garçon bien plus large d'épaules se porta à leur contact. Il s'agissait d'Hugo Hoffmann, poursuiveur des Serres Vengeresses. C'était sa dernière année à l'école.
- Encore en train de chercher les coups Alban ? Tu veux que je t'aggrave encore tes blessures ? Ou ça te suffit de prendre un siège des tribunes en pleine tronche ? s'écria t-il, le poing levé.
Le capitaine des Lynx changea d'attitude, les sourcils moins froncés, sur la défensive.
Il a peur, pensa Kassandra.
- Ouais c'est ça, commence par respecter tes aînés machin, surtout que t'es pas près de remonter sur un balai...maintenant toi et ta petite clique vous allez vous barrer bien sagement, continua Hugo Hoffmann, menaçant.
Le groupe se dispersa pour les laisser passer. Emma Simon ne bougea pas, une grimace de défi tordant sa bouche moqueuse.
- Viens Emma, commence pas tes conneries, lâcha son frère en la tirant par le bras.
- Tricheurs ! cracha t-elle une dernière fois avant de consentir à suivre Alban.
Les deux filles et Hugo Hoffmann se hâtèrent le long du chemin. Kassandra sortit de son mutisme consterné :
- Mais c'est ça depuis longtemps ? demanda-t-elle.
- Depuis que le match s'est terminé ! C'est vraiment des malades ! répondit Lucie, très énervée.
- Tous les joueurs se font harceler, mais c'est Lucie qui en prend vraiment plein la tronche, renchérit Hugo.
- Et tout ça parce que je l'ai attrapé avant eux ce foutu Vif d'Or, jamais vu ça depuis que je suis dans l'équipe.
- J'espère que la direction va calmer tout ça, s'inquiéta Kassandra.
- À mon avis ils vont bien avoir le temps de rager, ils sont plus assez nombreux à pouvoir jouer pour former une équipe...bon débarras... souligna Hugo.
Ils firent leur entrée dans le club-house des Serres Vengeresses. Il s'agissait d'un petit bâtiment de plain-pied encadré de quelques arbres. La salle principale était assez grande. Un feu chaleureux ronronnait dans une cheminée. Ses flammes étaient dorées et l'âtre noir, deux couleurs que l'on retrouvait sur les écharpes, bannières et autres maillots qui tapissaient les murs. Trois garçons et une fille de première-année étaient confortablement assis dans des fauteuils de cuir noir. Le capitaine et batteur de l'équipe, Thomas Rajden, un garçon trapu à la peau d'ébène, se tenait devant un grand tableau vierge. Ce dernier était positionné sur le mur, au dessous d'une large bannière animée représentant un aigle menaçant, les serres sorties, qui faisait vigoureusement battre ses ailes dorées.
- Excellent, nous voilà tous réunis ! s'exclama Thomas Rajden en remontant ses lunettes sur son nez.
Les nouveaux arrivant saluèrent le reste de l'équipe puis vinrent à leur tour s'enfoncer dans les fauteuils douillets. Les visages étaient graves.
- Bien, je ne vais pas faire durer le suspens plus longtemps. Je vous ai tous convoqués aussi rapidement pour une bonne raison. Les Lynx veulent faire annuler le match, et se sont plaints à la Direction en nous accusant de tricher. J'ai déjà eu deux convocations chez Bret, elle est furieuse et veut des noms...
L'indignation s'empara des joueurs. Certains se levèrent d'un bond.
- Ils vont dire ça à chaque match perdu c'est ça ? s'écria Théo Leroux, le gardien qui s'était fait détruire la mâchoire par un Cognard des Vifs Flamboyants.
- Mais c'est n'importe quoi ! fulmina Hugo Hoffmann.
Kassandra n'en croyait pas ses oreilles. Thomas Rajden intima l'équipe au calme.
- Alban Simon me rappelle à chaque fois qu'il est en train d'effectuer des démarches, apparemment il veut faire circuler une pétition pour influencer la décision de la Direction...
- Une pétition ? Donc son but c'est de nous en mettre plein la gueule pour que toute l'école la signe sa foutue pétition ? coupa Lucie Leroy, les larmes aux yeux.
- C'est dégueulasse ! s'exclama Kassandra.
- Apparemment oui. Les Lynx ne renoncent pas à leurs tactiques perfides, même lorsqu'ils ne jouent pas. Je pense que nous allons devoir nous battre pour convaincre tout le monde que c'est pas nous les tricheurs. Vous avez conscience que laissez passer un truc pareil, c'est donner l'assurance aux Lynx qu'ils contrôlent le championnat et qu'ils peuvent faire ce qu'ils veulent des résultats ! La réputation des Aigles est en jeu ! conclut le capitaine, d'une voix ferme et déterminée.
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