En cette matinée d'automne maussade, les Seconde-Années étaient descendus dans la vallée pour leur cours d'équitation mensuel.
Bien qu'elle accomplissait son rôle de transmission du savoir magique à la perfection, l'Académie Beauxbâtons souhaitait également perpétuer ce qu'elle appelait « l'élégance à la française » : un diplômé de l'école se devait de connaître les règles du savoir-vivre en société, tout en faisant profiter de son abondante culture. Cet incomparable profil était couronné d'une pratique remarquable des « Arts Délicats » tels que la littérature, la danse, la musique ou bien encore l'équitation.
Du moins c'était les valeurs revendiquées par l'école sur ses brochures dorées.
Alice et Kassandra couraient presque dans l'herbe humide, suivies de près par Julie et Margot.
- J'espère que j'aurais le même que le mois dernier, il était trop doux ! s'écria Alice, toute excitée.
- Moi j'espère que j'en aurais un autre, j'ai pas trop apprécié les gamelles dans la boue, grommela Kassandra.
- Arrête de chouiner Kass, je te rappelle qu'on m'a engueulée la dernière fois car cette saloperie de bête m'a planté en plein milieu du lac, et j'ai du finir à pied, toute trempée ! se plaignit Julie.
- Regardez ! s'exclama Margot.
Le soleil sortit de son voile de nuages au moment où les élèves arrivèrent en haut d'une pente douce, laquelle menait à son tour dans une plaine émeraude. Aucun arbre ne semblait être sur le point de perdre ses feuilles, pas plus qu'il ne donnait l'impression de brunir. Cela étonnait toujours les Premières-Années. Le paysage verdoyant était clairsemé par d'innombrables taches blanches pétillantes. Autant d'étalons magnifiques qui pâturaient chacun de leur côté, les employés de l'école s'activant autour dans leurs bottes aux reflets brillants. De l'autre côté on apercevait les premiers arbres de la forêt qui délimitait le domaine de l'académie. Leurs camarades, vêtus de vestes bleues, leurs bombes noires à la main ou pour certains sur la tête, se regroupaient au centre de la plaine. Kassandra songea à la magnifique photo de cette scène que son père aurait pu réaliser.
- Pour cette deuxième séance, nous allons réviser les acquis de l'année précédente. Aucun comportement irréfléchi ne sera toléré. J'attends de vous une attitude irréprochable. J'ajouterai que le parcours est aujourd'hui strictement balisé et calibré pour évaluer les points importants de cette discipline. L'usage de votre baguette est proscrit. Toute tentative de fraude sera sévèrement réprimandée.
Flanquée de ses assistants, le professeur d'équitation - qui se trouvait être également Madame Bret, la Directrice Adjointe - agitait d'un air agressif sa cravache devant les élèves silencieux. Étant donné la façon dont les animaux lui obéissait, Alice la soupçonnait d'en faire souvent usage.
- Les Secondes Cinq avec moi, les autres avec vos professeurs respectifs. À vos brides et en selle !
Chacun se vit attribuer un pur-sang blanc comme neige. Alice enfila son casque sur ses cheveux attachés et observa sa monture. L'animal la regardait intensément de ses petits yeux noirs, ses oreilles étaient couchées, l'un de ses sabots s'enfonçait à intervalles réguliers dans le sol, traduisant une animosité grandissante à l'égard de sa cavalière.
- Je sens que ça va être l'amour fou entre nous, soupira t-elle.
Kassandra, Margot et Julie s'approchèrent.
- Vous en pensez quoi du votre ? Le mien est parfait ! s'écria Margot, tout sourire.
- Ma jument n'a pas l'air trop mal, répondit Kassandra.
- Moi ça va aussi, j'espère que je vais réussir à tenir dessus, ironisa Julie.
Tenant fermement la bride de leur monture, les filles se dirigèrent à pied vers la forêt pour atteindre le début du parcours. Alice dut tirer plus fort que ses amies sur la lanière de cuir, l'équidé se montrant réticent à effectuer quelques pas. Bientôt elles furent sur leur selle, le dos bien droit, les épaules relâchées, comme on leur avait appris.
- La tête haute mademoiselle Rosales je vous prie, soyez fière, reprocha l'un des encadrants à Kassandra.
Cette dernière corrigea sa posture.
- Bien vous pouvez y aller, doucement s'il vous plaît, comme d'habitude...
Dotée d'une véritable aisance les rênes à la main, Margot pris la tête du groupe, imposant un trot rapide aux jeunes cavalières. Les leçons d'équitation qu'elle prenait depuis son plus jeune âge étaient à l'origine de ses facilités. Le chemin qui serpentait entre les arbres était suffisamment large pour éviter les collisions avec les autres élèves qui s'étaient élancés au galop dès le début. Par expérience, les quatre amies savaient que ce n'était pas une bonne idée, étant donné que le parcours qui les attendait pouvait leur réserver bien des surprises.
Alice sentit quelqu'un la frôler de justesse en ricanant. Un garçon.
- Mais quel débile celui-là je te jure ! s'exclama Julie.
- Laisse il fait son intéressant, ce sera à nous de rigoler lorsqu'il n'aura plus de forces dans deux kilomètres ! se moqua Margot.
Au détour d'un virage, le chemin sortit brièvement de la forêt. De somptueux animaux évoluaient sur les côtés.
- Regardez, les Abraxans ! s'émerveilla Kassandra.
Bien plus imposants que ceux montés par les élèves, de la taille d'un éléphant adulte, ces chevaux ailés à la robe dorée avaient le crin blanc et les yeux rouges. Élevés par l'Académie, ils étaient renommés dans le monde entier. Par le passé c'était eux qui tiraient les carrosses bleu-pastel de l'école. Comme à l'accoutumé, l'air empestait l'odeur de leur unique breuvage sacré : le whisky pur malt.
À peine Alice eut-elle le temps de les admirer que le groupe replongea sous les arbres. Quelques minutes plus tard, les quatre amies arrivèrent à un croisement. Le chemin se séparait en deux, un employé de l'école répartissait les arrivants, la moitié empruntant le sentier qui s'ouvrait sur la gauche, l'autre moitié était orientée vers celui de droite. Les cavalières se retrouvèrent séparées : Margot et Alice à gauche, Kassandra et Julie à droite. Dès les premiers mètres, Alice compris la raison de cette division du parcours : des ornières s'ouvraient dans la terre, complexifiant singulièrement la conduite de sa monture. À cela s'ajoutait des pierres et autres racines qui jonchaient le chemin, et qu'il fallait à tout prix prendre en compte sous peine d'être déstabilisé. La véritable épreuve commençait maintenant. Ayant plusieurs mètres d'avance, l'œil expert de Margot lui signalait les dangereuses irrégularités du sol. Concentrée sur sa posture, la petite blonde essayait de contrebalancer les secousses dues au terrain. Elle commençait à percevoir la rébellion naissante de l'équidé qui rechignait à obéir aux ordres, ce qui manqua plusieurs fois de la faire tomber.
Alice vit son amie s'arrêter devant une barrière de bois haute de plusieurs mètres qui coupait le chemin. Un encadrant était posté non loin de cette dernière. Elle tira les deux rênes vers elle et lança ses épaules en arrière. L'animal refusa de s'arrêter. Elle accentua alors la pression sur les rênes et se courba en arrière au mépris de toute élégance, ce qui stoppa l'étalon récalcitrant.
- Bravo, bel arrêt ! la complimenta Margot.
- Merci ! Qu'est-ce qui se passe ? haleta Alice.
- Ils nous font passer individuellement, ça sent le parcours d'obstacles...
- Ouh là j'aime pas ça du tout !
La barrière s'enfonça d'un seul coup dans le sol. L'employé fit signe à Margot de continuer.
- Ne t'inquiète pas, la rassura cette dernière, n'oublie pas de bien garder les bras et les jambes parallèles et appuie bien sur tes étriers, et tout devrait bien se passer !
Face à la barrière remontée, Alice sentait l'appréhension monter en elle. Deux élèves arrivèrent. La barrière se baissa une nouvelle fois. C'était son tour. La boule au ventre, le cœur battant la chamade, les mains crispés sur les rênes, la petite blonde s'élança dans le parcours d'obstacle. Le premier d'entre eux était un simple tronc de taille moyenne, couché en travers du chemin. Impossible de l'éviter. Anxieuse, la cavalière se prépara à sauter. À la place de prendre de l'élan pour bondir, le cheval sembla au contraire ralentir. Il n'avait pas l'intention de franchir cet obstacle ! Alice força l'animal à maintenir sa vitesse qui sauta le tronc au dernier moment, d'un mouvement brusque qui faillit une nouvelle fois désarçonner sa cavalière. L'équidé s'énervait, cette dernière pouvait le sentir. Elle n'allait pas pouvoir continuer à sauter des obstacles avec cet obstiné ! La prochaine difficulté s'approchait rapidement : une haie haute de près d'un mètre. Alice tourna rapidement la tête à gauche et à droite et prit la décision de tricher. Malgré tout ce que cela pouvait impliquer.
Elle lâcha précipitamment l'un des rênes, se saisit de sa baguette sans la sortir de la poche de sa veste. Puis, se penchant doucement sur la crinière de sa monture, elle prononça d'une voix presque inaudible le mot interdit :
- Impero
Le cheval cessa immédiatement de lutter. Alice n'avait même plus besoin de le diriger avec les rênes, l'animal effectuait tous les mouvements qu'elle désirait. L'obstacle fut franchit facilement, les suivants ne furent que de simples formalités. Le parcours se terminait en lisière de la forêt à quelques centaines de mètres de l'endroit d'où elles étaient parties. Margot l'attendait assise contre un arbre, sa natte, argentée aujourd'hui, reposant sur son épaule. Alice rendit sa monture devenue parfaitement docile et courut rejoindre son amie.
- Alors t'as réussi malgré le cheval têtu qu'ils t'ont collé ? s'enquit cette-dernière, souriante.
Alice retira sa bombe et s'assit contre l'arbre. Elle prit quelques secondes pour reprendre son souffle puis répondit :
- Eh oui ! Je suis la meilleure ! Mais attends tu as vu ce fossé juste avant la palissade ? C'était super dur ce passage !
- Il y a le même genre de truc dans le domaine de mes parents, donc disons que ça ne m'a pas vraiment surprise, rigola Margot.
- Mais c'est pas juste ! Il y a toute l'épreuve d'équitation chez toi !
Alice retira ses bottes et remua ses doigts de pieds dans ses chaussettes trempées.
- Presque ! Il manque les murs enflammés, ici on a pas le droit de faire ça... dit son amie d'un air presque triste.
- Donc chez toi tu sautes par dessus des murs enflammés ? s'écria Alice, stupéfaite.
- Non mes parents disent que c'est dangereux...T'auras qu'à venir t'exercer pendant les vacances, tu verras tout ce qu'on peut faire chez moi ! Bon après il faut que tes parents soient d'accord forcément...répondit Margot.
Alice rougit à l'évocation de ses parents. Cela semblait tellement normal pour les autres...
L'arrivée d'une Kassandra riant aux éclats et d'une Julie couverte de boue des pieds à la tête chassa heureusement ce sentiment de malaise du visage de la petite blonde. Sur le chemin remontant dans les Jardins, jusqu'au Pavillon, Julie ne cessa de couvrir d'injures sa monture qui l'avait catapultée dans la gadoue sur le bord du chemin. Kassandra expliqua avec excitation comment elle avait réussi à tenir sur sa jument sur le sentier accidenté. Une fois sous la douche chaude qu'elles avaient bien méritée, Alice et Margot décidèrent qu'elles iraient à la Bibliothèque cet après-midi. Kassandra soupira et proposa à Julie de se rendre au stade de Quidditch pour y faire quelques passes.
Une fois entourées par les rayonnages omniscients, Alice et Margot se dirigèrent vers leur coin habituel et se mirent à arpenter les différentes allées, parcourant les titres d'antiques ouvrages, s'arrêtant quelques fois pour en feuilleter l'un deux. Les deux amies finirent par se retrouver sur l'une des tables nichées au beau milieu des étagères pleines à craquer. Deux livres s'étaient émancipés d'eux-mêmes de leurs étagères, et s'étaient rejoints dans les airs, lévitant plusieurs mètres au dessus de leurs têtes.
- Franchement j'ai fait tout le rayon sur les navigateurs sorciers, et impossible de trouver quoi que ce soit sur des possibles pirates ! expliqua Margot, dépitée.
- Je t'avoue qu'en cherchant du côté des marchands j'ai pas trouvé grand chose non plus, la plupart préféraient utiliser les portoloins, voire même traverser l'océan sur un balai, ça leur faisait pas peur ! ajouta Alice.
- C'est quand même super bizarre tout ça, faire voler un coffre étrange, contrôler les flammes, c'est un truc de sorcier ça, pas de Moldu !
Une conversation provenant d'une allée proche attira subitement leur attention :
- J'espère que vous nous excuserez du relatif calme des lieux monsieur, cela dit nous pouvons privatiser la Bibliothèque pour une heure si cela peut entraver vos recherches... disait une voix rauque.
Curieuses, les deux filles décidèrent d'un regard de voir de quoi, ou plutôt de qui il était question. Ce n'était vraiment pas le moment de fermer la Bibliothèque, alors qu'elles n'avaient encore rien à se mettre sous la dent !
- Ne perturbez pas vos brillants élèves pour si peu...ce ne sera pas long, je suis persuadé que je trouverais ce que je cherche ici.
L'homme qui venait de répondre parlait avec un accent anglais prononcé, mais la fluidité que transportait sa voix démontrait sa maîtrise du français. Il était accompagné d'un membre de la Direction de l'école, comme le montrait la robe bleu-argent qui le distinguait des élèves. Furtivement campées au coin d'un rayonnage, Alice et Margot reconnurent le Directeur Adjoint, qui les avait accueilli l'an dernier et qui présidait certaines des célébrations de l'Académie.
- Bien, si vous être sûr de votre choix je vous laisse ici Sir, repassez donc par mon bureau au rez-de-chaussée lorsque vous aurez terminé, conclut-il avant de faire demi-tour.
L'anglais se mit aussitôt à étudier les diverses indications propres aux lieux, décelant de son œil d'expert la classification des ouvrages de cette section, et l'agencement précis de ces derniers sur les étagères de bois. Puis il s'avança dans la rangée, et se rapprocha assez rapidement de la cachette des deux filles. Ces dernières décidèrent de revenir s'asseoir à leur table. Alice allait commencer à parler lorsque l'homme entra dans leur champ de vision. Il scrutait les titres des ouvrages à une vitesse hallucinante, ses yeux glissant sur les caractères émaillés par le temps. Les deux amies n'osaient pas parler en sa présence. Gênées, elles firent mine de contempler les aspérités du plateau de la table. Au bout d'un moment, l'anglais se retourna et s'adressa à elles :
- Excusez-moi mesdemoiselles, je cherche le rayon consacré à l'Amérique du dix-huitième siècle, pouvez-vous me l'indiquer ?
- Euh... commença Margot, décontenancée.
- Oui, on va vous le montrer ! s'exclama Alice en se levant hâtivement.
- Merci beaucoup de m'accorder un peu de votre temps, je n'en ai moi même pas assez pour le trouver de mon propre chef, se réjouit l'homme.
Margot suivit le mouvement, consciente que son amie avait quelque chose derrière la tête. Elles avaient arpenté le rayon en question de nombreuses fois, comme le reste de cette section réservée au dix-huitième siècle. Lorsque l'anglais ravi se mit de nouveau à scanner les étagères du dit-rayon, Margot glissa discrètement :
- Bon c'est quoi le truc ?
- Réfléchis, ce gars là c'est un expert du dix-huitième siècle, donc il va pouvoir nous renseigner ! lui répondit son amie en souriant.
- Bien joué ! Laisse moi faire, je sais comment je vais lui demander...
Margot s'approcha de l'homme accroupi, un livre ouvert dans les mains, et lui demanda :
- Excusez moi de nouveau monsieur, je sais que vous êtes très occupé, mais j'aurai une question à vous poser...
L'anglais se tourna vers elle et lui répondit, toujours souriant :
- Ne vous excusez pas mademoiselle, grâce à ce fabuleux endroit j'ai déjà trouvé ce que je cherchais, une chronique non censurée des événements de 1790, lorsque Dorcus Twelvetrees a enflammé la société de l'époque en révélant l'existence du monde magique à un Moldu, et ce cas-ci présente de nombreuses similarités avec les récents attentats dont votre beau pays a été victime... Mais trêve de bavardages, posez moi donc votre question !
- Ah...oui oui ma question ! se rappela Margot qui avait écouté avec grande attention le bref cours de l'historien.
- Nous devons réaliser un exposé sur le dix-huitième siècle pour l'école, et le thème est au choix. Avec mon amie, nous avons décidé de nous intéresser aux pirates de cette époque, mais nous n'arrivons pas à trouver grand chose sur eux... reprit-elle.
Les yeux de l'homme s'illuminèrent.
- Les pirates ? Figurez-vous qu'il s'agissait au départ du sujet de ma thèse il y a quelques années, malheureusement on m'a rapidement fait comprendre que celui-ci ne serait pas accepté... Voyez-vous, les pirates sorciers constituent peut-être l'une des plus fâcheuses infractions au Code International du Secret Magique depuis son instauration. Au vu du peu de documentation disponible sur ces-derniers, je suis convaincu que la Confédération Internationale, ainsi que les Ministères sous sa tutelle, ont souhaité faire oublier les sombres méfaits de certains d'entre nous...
L'expression d'Alice changea.
- Oh... lâcha Margot.
- Je crains bien qu'il faille trouver un autre sujet mesdemoiselles, d'autant que la documentation existante en France se trouve dans des bibliothèques spécialisées...
L'expression de la petite blonde se modifia une nouvelle fois.
- Ce sujet m'intéresse beaucoup, pouvez-vous m'indiquer l'emplacement de ces endroits spécialisés...euh j'irais pendant les vacances... dit-elle en se précipitant sur l'historien.
Celui-ci parut surpris de la réaction d'Alice, au même titre que son amie qui la regardait sans comprendre. Il consentit néanmoins à lui répondre, absolument ravi de trouver une jeune personne qui partageait sa passion. Du moins c'est ce qu'il croyait naïvement.
- Oui bien sûr, vous avez les très complètes archives de Nantes il me semble...et puis si vous y tenez vraiment la Bibliothèque Magique de Paris pourra vous apporter quelques éléments...Même si je doute que l'on vous laisse consulter ces documents sans autorisation...
Alice sortit son carnet bleu et nota ces informations très précieuses.
- Si ça ne vous dérange pas, je peux savoir votre adresse ? Comme vous connaissez beaucoup de choses... J'ai beaucoup de questions à vous poser je pense, et vous n'avez pas le temps aujourd'hui... s'empressa de demander la petite blonde.
Elle inscrivit de nouvelles lignes :
Sir Bragnam, 25 Kingsway, EAST LONDON
Repoussant toujours plus les interdictions du Règlement, elle trouva rapidement le moyen d'étendre considérablement le nombre de documents à sa disposition. Il lui fallu de nombreuses tentatives et autant d'heures pour enfin avancer dans ses recherches. La dernière nuit de Novembre, alors que le dortoir était plongé dans la pénombre, et que plusieurs légers bruits de profondes respirations troublaient régulièrement le silence, Alice ne dormait pas. Elle était chaudement vêtue sous sa couette. Lorsque la petite aiguille de sa montre pointa le symbole des Poissons, elle se glissa lentement hors de son lit douillet, enfila sa cape sombre, sortit son petit carnet bleu et le rangea dans sa poche. Elle poussa la porte du dortoir et traversa le couloir froid sur la pointe des pieds. Les escaliers feutrés étouffaient ses pas tandis que les chandeliers s'allumaient sur son passage. Aucun signe de la Tutrice Clémentine. Quelques instants plus tard, elle se retrouva devant la lourde porte de chêne du Pavillon, qu'elle déverrouilla à l'aide de quelques mots et d'un tapotement de sa baguette.
Dehors, les jardins étaient silencieux. Les étoiles mouchetaient le ciel d'un noir d'encre. Une légère brise faisait remuer les feuilles de quelques arbres, éclairés par la pâle lueur de la Lune. Ses bottes noires claquaient avec un petit bruit sur les pavés du chemin. Bientôt elle entendit de l'eau qui ruisselait. Elle passa devant quelques fontaines, longea d'interminables murs végétaux et atteignit enfin la Grande Allée. Son ombre traîtresse se manifestait lorsqu'elle passait devant les torches qui balisaient sa route. Elle savait exactement où elle devait se rendre, s'enfonçant toujours plus dans les jardins dédaléens, la silhouette fantomatique du Palais la regardant s'éloigner. Elle quitta l'allée caillouteuse, pour suivre un chemin sinueux qui se perdait dans les bosquets. Puis elle fut face à un haut mur végétal, une haie épaisse qui marquait un cul-de-sac. Elle jeta rapidement un regard alentour et entonna d'une petite voix un air simple, triste. C'était le seul qu'elle connaissait par cœur, et de toute façon le seul qui lui venait directement en tête lorsqu'elle se retrouvait devant cette porte capricieuse. Elle chantait dans une langue qu'elle ne connaissait pas : le russe. Pourtant, ces paroles dont elle ne pouvait saisir le sens lui paraissaient naturelles. La porte n'attendit pas le refrain avant de s'ouvrir : les branches se retirèrent et la haie se creusa, formant une somptueuse arche vivante. Alice se dépêcha de la franchir, cette porte musicomane lui faisant perdre à chaque fois bien trop de temps. Et elle n'en avait justement pas assez pour se permettre d'admirer la Féerie Symphonique, un endroit secret - même si tout est relatif avec les générations d'élèves qui se succèdent depuis plusieurs centaines d'années - des jardins de l'Académie. Une douce musique, qui semblait venir de la pièce elle-même, enveloppait les lieux d'une atmosphère enchanteresse. Les arbres formant une voûte solide et l'épaisseur des murs permettaient tout aussi bien une acoustique extraordinaire qu'une isolation totale avec l'extérieur. D'innombrables insectes lumineux participaient au charme de l'endroit. Cette fois-ci, Alice ne rencontra aucun couple ou autres insomniaques sur son chemin. Elle traversa la pièce, et se glissa entre les ronces qui composaient une partie du mur du fond. Elle était enfin arrivée à destination.
C'était une toute petite clairière ronde au centre de laquelle se tenait une vénérable souche moussue. De multiples inscriptions étaient gravées dans le bois ancestral. Il s'agissait d'un repaire de connaisseurs, du but d'une escapade aventureuse. Sans plus de cérémonie, Alice se jucha sur le reste du défunt géant. Dans un bruissement à peine audible de cape, elle avait disparu. La clairière se voyait être également l'un des points faibles de la sécurité de l'école.
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