Nous sommes à peine rentrés que nous avons déjà une nouvelle mission vraiment bien payer. M. Lamien soupçonne son épouse de le tromper avec Guillaume d’Autin. C’est fou, ce qu’un homme jaloux peut dépenser pour se rassurer, mais d’un autre côté apprendre que sa femme lui est infidèle ne m’étonnerait pas. Elle est beaucoup plus jeune que lui et de ce que j’ai pu entendre, d’une grande beauté. En-tout-cas, je sais déjà qui envoyer. Après tout, aucune dame ne résiste à son baratin. Je pars donc à la recherche de Charles qui a le profil parfait pour ce travail. Quand je le trouve, il se tient au côté de Mlle Gauthier, toujours le bras autour de ses épaules, et il lui envoie de belles paroles en continu. Son attitude ne fait que me confirmer ma pensée. Mlle. Gauthier lève les yeux au ciel et continue ce qu’elle fait sans lui prêter plus attention que ça. Elle agit comme si c’était habituel, ce qui, dans le fond, est le cas puisque Charles adore la taquiner de cette façon. Je fais remarquer ma présence et lui demande de me suivre. Il s’excuse auprès de la jeune femme en l’appelant par un des nombreux surnoms qu’il aime lui donner puis sort de la pièce.
Installé dans mon bureau, je lui explique pourquoi j’ai besoin de lui. Bien évidemment, il accepte. Son but est assez simple : récolter des preuves qui pourraient confirmer une quelconque forme d’infidélité. On discute encore un peu de tout cela, de la façon dont il doit s’y prendre, avant qu’il ne s’en aille. Soit il est parti retrouvé Mlle Gauthier, soit il a pour idée d’aller embêter, encore une fois, Ruben. Si c’est la deuxième option, je pense pouvoir intervenir dans quelques minutes pour les remettre à leur place.
***
Devant la grande grille du cimetière, un frisson me parcourt l’échine. Je n’y vais que trois fois par an. Une fois pour l’anniversaire de ma mère, une fois pour l’anniversaire de mes grands-parents, et une fois pour la fille du commissaire. Ces journées font partie des rares fois où Wilfried ne m’accompagne pas. Je musarde entre les pierres tombales laissant mes pieds soulever des petits tas de poussière après leur passage. L’ambiance est froide mais paisible, voire agréable. Beaucoup pensent que c’est morbide comme promenade, mais je ne suis pas de cet avis. C’est reposant. Il n’y a pas de bruit et la foule n’existe pas. Petit à petit, je m’engage dans les différentes allées qui mènent jusqu’à la tombe de Marie. Le commissaire et sa femme ont décidé de « l’enterrer » il y a deux ans. C’est une façon pour eux de lui dire adieu après des recherches acharnées. Je ne peux pas dire que je comprends leur abandon. Le commissaire avait juré de la chercher partout, peu importe le temps que ça lui prendrait. Finalement, cette tâche a dû s’être avérée trop dure pour lui. À une vingtaine de mètres, j’aperçois une silhouette agenouillée a même le sol, les mains jointes. Je m’approche discrètement pour ne pas le déconcentrer.
-Vous êtes venu aussi ? Entonne-t-il sereinement.
-Bien évidemment.
J’ai l’impression que ces visites au cimetière le détendent, l’aide à être plus placide. Sur le marbre, se trouvent de jolies petites fleurs violettes. Si je ne me trompe pas, ce sont des ancolies. Il en dépose à chaque fois qu’il vient. Il me semble que c’est la fleur préférée de la petite Marie.
-Je ne vous croise pas ici habituellement. Continue-t-il tout en se relevant.
-Je ne viens pas souvent. Vous êtes venu plus tôt que d’habitude, non ?
-J’avais un rendez-vous ce matin. Puis-je vous poser une question Aléandre ?
-Allez-y.
-Pourquoi venir vous recueillir sur sa tombe si vous ne croyez pas à sa mort ? Avez-vous changé d’avis ? Où avez-vous toujours su qu’elle ne fait plus parti de notre monde ?
-Je viens par respect et par soutien. Je sais qu'elle est encore bien vivante.228Please respect copyright.PENANAPx9G3fFMKq
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Un long silence prend possession de l'espace. Je n'ai peut-être pas dit ce qu'il voulait entendre, mais j'ai été honnête. L'honnêteté est une valeur que je trouve important bien que cela puisse surprendre. En réalité, je trouve qu'il est nécessaire d'être honnête avec les gens que l'on apprécie, les autres importent peu.
-Vos paroles me blessent.
-Je n'en doute point. Mais nous savons tous les deux pourquoi elles vous heurtent de cette façon plutôt qu'elles ne vous m'êtes dans une colère noire.
-Parce que j'ai encore espoir qu'elle est survécu pendant toutes ces années.
-Si c'est le cas pourquoi avoir cessé les recherches ?
-Je sais que cela va être difficile pour vous qui n'avez ni enfant ni sens de la paternité, mais imaginez-vous, en tant que père, en train de chercher désespérément votre enfant porté disparu. Imaginez-vous entendre par vos proches que votre fille n'existe plus. Imaginez-vous ne plus dormir de la nuit au point d'en inquiéter votre épouse qui vous supplie de tout arrêter. Que feriez-vous ? Laisseriez-vous réellement cette obsession vous détruire vous et votre conjointe ? Ou abandonneriez-vous lentement en priant tout de même chaque soir pour qu'elle réapparaisse miraculeusement dans votre vie ?
Il marque un point. Je n'arrive pas à m'imaginer tout cela, mais je pense qu'il doit avoir raison, et c'est pour cette raison que c'est moi qui continue de la chercher pour qu'ils puissent de nouveau être heureux, tous les trois. En me donnant ses explications, les larmes lui sont montées. Je fais semblant de ne pas avoir remarqué, le salut et m'en vais. Je m'enfonce encore un peu dans le cimetière. Je compte profiter de ma présence ici pour aller voir ma défunte mère. Mon père lui a érigé un mémorial. Je ne sais pas si je dois l'en remercier ou bien être écœuré par son acte. Peut-être suis-je plus attiré par la deuxième option. Après tout, j'aurais pu le faire moi-même s'il ne s'en était pas donné la peine. Je me pose quelques instants juste en face et parle de mes dernières mésaventures avec elle. Je lui ai toujours tout confié. C'était elle qui me rassurait et me conseillait. J'effleure une dernière fois le marbre gris avant de faire demi-tour jusqu'à la voiture où Wilfried m'attend. Nous nous dirigeons ensuite chez le M. Lamien afin d'obtenir une invitation pour Charles. Je l'ai déjà rencontré il y a plusieurs années. La première fois, c'était lors d'une soirée mondaine où j'accompagnais mon père. Je devais avoir douze ans, peut-être moins. La grande maison n'a toujours pas changé. En dix ans, on dirait qu'elle n'a même pas vieilli. Les murs sont toujours d'un blanc immaculé. Les fenêtres ne laissent paraître aucune trace et reflètent les rayons du soleil. Le grand escalier en pierre qui mène à la porte d'entrée ne montre pas le moindre signe de dégradation, et le jardin est parfaitement entretenu. Comme j'aimerais que mon manoir soit aussi resplendissant. Nous sommes directement menés dans le bureau de M. Lamien. Il nous attend, assis sur une chaise, et nous donne les explications dès que nous sommes installés. Il me tend une invitation que je lis. Je fronce les sourcils, puis prends la parole :
- Vous n'aviez pas précisé que seul les femmes étaient invitées.
-Je suis désolé d'avoir oublié de le mentionner M. Navarro. Cela, va-t-il poser problème ?
Je réfléchis un instant. Je pourrais demander à Mlle Gauthier de m'aider une nouvelle fois, mais je risque de me prendre une gifle après ce que je lui ai fait subir et je ne veux pas devoir demander à Elric. Je ne peux pas trouver une autre femme, je n'aurais jamais le temps. De plus, trouver une femme de confiance prête à recevoir un châtiment si on la surprend à fouiner n'ai pas facile à trouver. J'ai donc une seule option dont les chances de réussite sont faibles. J'ai intérêt à me montrer convaincant et à lui donner une bonne partie de la prime. Il faut que je me prépare dès maintenant à me faire assassiner, nous ne savons jamais.
-Non aucun problème. Répondis-je les yeux toujours rivés sur le bout de papier.
Après ce court échange, nous nous en allons. Je dois à tout prix convaincre Mlle Gauthier de prendre le rôle si je ne veux pas décevoir le client et ruiner notre réputation. Je vais tout de même essayer de demander à Elric en premier. Ce n'est pas exactement la même chose que la dernière fois et je dois avouer que j'ai encore moins envie de confronter Mlle Gauthier. Elle est naïve et s'est fait avoir une fois, mais elle a également un caractère bien trempé. Sinon tant pis, j'en viendrais à la dernière solution qui s'offre à moi et que je préférais vite effacer. Je n'ai jamais été très à l'aise avec des talons.
De retour chez moi, je m'en vais voir Elric. J'entre dans son cabanon et me mets à tousser au moment où la poussière se soulève du sol. Il ne m'a pas encore remarqué. Il est concentré sur une de ces machines bizarres. Je lui tapote l'épaule pour signaler ma présence. Il relève la tête et me sourit chaleureusement. C'est étrange. J'ai l'impression de ne pas avoir vu se sourire depuis des années.
-Que se passe-t-il ? Tu ne viens jamais ici. Fit-il remarquer.
-J'aurais besoin de toi pour t'infiltrer à la soirée Mme. Lamien.
-Mme. Lamien ? Ce n'est pas Charles qui doit s'en occuper ?
-C'était ce qui était prévu oui. Mais il y a un léger changement et je crains que Charles ne rentre pas aussi bien que toi dans une robe.
Il me fixe avec de grands yeux ronds et les joues légèrement rougis sûrement à cause des mauvais souvenirs qui reviennent. Je peux déjà deviner sa réponse.
-Il en est hors de question. La dernière fois, je m'en suis sorti sur un coup de chance, mais là, je serais entouré de femmes alors évidemment qu'elles se rendront compte du traquenard.
J'insiste un peu, mais il n'en démord pas. Je le laisse tranquille sachant que je n'obtiendrais rien de plus. Je vais demander à Mlle. Gauthier, mais si lui a dit non alors avec elle, je peux aller voir ailleurs. De plus, je n'aime pas lui demander service. Elle me déteste à cause de l'erreur que j'ai faite, enfin des erreurs que j'ai faites, et je vais encore lui être redevable.228Please respect copyright.PENANAo6T9zHceJw
En retournant à mon bureau, je croise Charles, Mlle Gauthier et Oscar en train de s'entraîner. J'annonce à Charles que sa mission est annulé et demande à la jeune femme de me suivre. Elle reste silencieuse. Elle doit se douter qu'il s'agît de quelque chose qui ne va pas lui plaire. Je sens son regard méfiant dans mon dos. Nous nous installons chacun d'un côté du bureau. Elle attend patiemment de savoir ce que je lui veux en jouant avec une mèche de ses cheveux bouclés, mais je me doute que ça patience à des limites.
-Pourquoi m'avez-vous fait venir ? Me demanda-t-elle froidement.
-J'ai une faveur à vous demander.
-S'il s'agit encore une fois de m'entraîner dans un de vos plans, vous pouvez m'oublier.
-Mais écoutez au moins en quoi cela consiste avant de renoncer.
-Ça ne se termine jamais comme vous le prévoyez. Vous qui aviez dit que vous ne faisiez que rarement des erreurs, je trouve que vous vous êtes pas mal rater les deux dernière fois.
-Pour ma défense, la dernière, c'est dérouler comme prévu, c'est juste que je ne vous avais as mis au courant de tout.
-Et vous trouvez ça mieux ?
Elle n'a pas tort. Je suis certainement plus en train de m'enfoncer que de gagner sa confiance. Non, oublions l'idée de la confiance, je ne pourrais jamais l'obtenir.
-Cette fois-ci, il suffit juste de réunir des preuves. Vous devez simplement vous rendre à une soirée et vous pouvez en profiter pour passer du bon temps. Vous devrez vous arranger pour rester la nuit là-bas afin d'avoir plus de temps pour chercher des informations sur une liaison entre M. Lamien et M. d'Autin. Il n'y a ni enlèvement, ni meurtre, ni vol. Même si vous êtes seule là-bas vous n'aurez rien à craindre et vous serez entouré exclusivement par des femmes donc pas d'approche venant d'homme mal intentionné.
-Je ne vois toujours pas pourquoi j'accepterais.
-Je vous offre la moitié de la récompense.
-À combien s'élève la somme ?
-Dix mille francs. Ça vous ferez cinq mille francs en poche.
Je la vois réfléchir. Elle ne va pas me faire croire qu'elle refuse une telle somme.
-C'est à moi de tout faire si j'ai bien compris ? Demanda-t-elle.
-Oui, c'est cela.
-Alors j’en veux huit mille franc.
-Je vous demande pardon ?
-C’est moi qui vais faire tout le travail alors je ne vois pas pourquoi je devrais gagner autant que vous.
Je contracte la mâchoire sous l’agacement. Dire que je pensais pouvoir la duper. Au moins, je sais que je ne confie pas cette mission à quelqu’un de suffisamment bête pour se faire avoir. J’accepte donc sa proposition et lui explique plus en détail le rôle qu’elle jouera. Elle se présentera comme une jeune italienne, du nom de Lucretia de Palerme, en vacance à Paris et dont le principal loisir est la photographie. Elle sera là pour immortaliser la soirée sous la demande de M. Lamien qui voulait faire la surprise à sa femme. Mlle Gauthier devra donc apprendre à se servir d’un appareil photo et elle devra également s’entraîner à parler avec l’accent italien. La tâche n’étant pas trop compliquée, elle accepte et sort de la pièce satisfaite.
***
Le jour de sa mission est arrivé. J’accompagne Mlle. Gauthier jusque chez les Lamien pour la briefer une dernière fois. Elle a l’air assez calme et confiante contrairement à moi qui ne peux m’empêcher d’imaginer toutes les façons dont elle pourrait gâcher le plan. Je la préviens, que nous serons là à vingt-trois heures pour venir la récupérer. Si elle ne se présente pas au point de rendez-vous, cela voudra dire qu’elle aura réussi à rester pour la soirée et dans ce cas-là nous viendront le lendemain matin. Suite à cela, elle sort de la voiture et se rend tranquillement à la belle bâtisse.
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