Je suis un peu moins effrayée que la première fois, mais pas des plus rassurées pour autant. Si j’ai accepté l’offre de M. Navarro, c’est uniquement parce que je vais avoir besoin d’argent et cette mission n’a pas l’air trop difficile. La maison est vraiment très belle. Bien plus que celle de la dernière fois. J’entre dans le hall et découvre qu’une vingtaine de dames sont déjà arrivées. Elles portent toutes des robes plus belles les unes que les autres. Elles sont sûrement en compétition. Une dame, qui, de mon point de vue, possède la plus belle toilette de la soirée, me fait signe d’approcher. Sa robe bleu nuit sur laquelle sont brodés différentes plantes s’accorde parfaitement avec ses yeux. Je me sens petite comparé à elle. Elle me regarde, un sourire trop faux pour être vrai, imprégné sur les lèvres. Elle se présente sous le nom d’Isabelle Lamien, femme M. Lamien. Elle me présente au groupe de femme autour d’elle puis me demande de prendre une photo d’elles. J’acquiesce avec mon plus bel accent et les photographie.
Tout au long de la soirée, je prends quelques photos, je discute avec les invitées et je grignote dans le buffet quand personne ne regarde. Je n’ai toujours pas de preuves quelconques sur quoi que ce soit. Il faut que je réussisse à rester cette nuit, car il m’est tout bonnement impossible de quitter la pièce suffisamment longtemps sans me faire remarquer. J’ai pu constater que M. Lamien est une personne très vaniteuse et possédant un ego immense. Je vais utiliser ses défauts à mon avantage. Je braque l’appareil sur elle dont le bruit attire l’attention. Je me mets à la complimenter sur son physique. Elle glousse comme une vulgaire bête de ferme tout en plaçant sa main devant sa bouche. Je profite de cette ouverture pour lui faire la demande osée qui me serre les tripes :
- J’aimerais beaucoup avoir l’occasion de vous photographier dans un autre décor à la lumière du jour. J’ai remarqué que vous avez un jardin absolument magnifique. J’aimerais beaucoup pouvoir l’utiliser comme cadre et je suis persuadé que votre présence sur l’image ne pourra que l’embellir.
-Dit d’une telle façon, je ne peux refuser votre demande ma chère. Que diriez-vous de passer la nuit ici afin de faire cette séance photo dès demain matin ?
-J’en serais ravi. Souriais-je.
Je suis soulagée et une partie du poids reposant sur mes épaules s’évapore. C’était plus simple que je ne l’avais imaginé. La première étape du plan est passée, il ne reste plus qu’à réussir la deuxième et j’aurais enfin réussi une mission avec succès. Mme. Lamien s’en va se vanter de mes paroles auprès de ses amies, mais elle a raison de clamer son incroyable beauté sur tous les toits. Peu de monde possède des yeux d’un bleu si sombre que l’on pourrait les confondre avec les abysses, des cheveux dont la blondeur brille au moindre faisceau de lumière et un visage semblable à celui d’une poupée. Je suis jalouse d’une telle beauté. J’aimerais posséder ce don de la nature. Elle est belle, riche, aimée, sûrement née dans une famille qui avait tout pour la satisfaire et sous une bonne étoile. C’est injuste de posséder autant de choses profitable à une vie décente.
La soirée s’achève doucement, la plupart des invitées s’en vont et il ne reste que quelques élues, dont je ne me profit, pour profiter d’une nuit dans ce sublime édifice. Les trois amies de notre hôtesse continuent de discuter un peu tandis que j’écoute. Parfois, elles me posent des questions sur l’Italie ou la photographie. J’y réponds par des phrases toutes prêtes et apprises par cœur. Mme Lamien parle d’un de ses voyages en Amérique datant d’il y a quelques mois. Elle nous décrit les paysages et les activités qu’elle y a fait. Je me demande comment son mari la laisse partir seule sur un continent étranger s’il n’a pas confiance en elle au point de la soupçonner de tromperie. Après de longues minutes de débat sur un sujet que je n’ai même pas retenu, nous décidons qu’il est temps de nous coucher. Cependant, une des trois femmes, Mme. Constelle demande à Mme. Lamien encore quelques minutes d’entretien pour lui parler d’une chose importante. Nous ne sommes donc que trois à nous diriger vers les chambres accompagnées d’une domestique. Sans qu’elle ne le sache, Mme. Constelle me rend un grand service. Je vais pouvoir aller fouiller la chambre de Mme Lamien en toute tranquillité. La domestique nous fait une petite visite de l’étage en nous montrant les chambres qui possèdent chacune une salle de bains. Je me retrouve tout au fond du couloir et la chambre qui m’intéresse et à l’exact opposé. Je devrais pouvoir m’en sortir. Je salue les deux autres femmes et fermes la porte. Je vais attendre quelques minutes avant de m’aventurer dans le couloir. J’espère que les deux amies restées au rez-de-chaussée ont de quoi discuter.
Au bout de cinq longues minutes, je ressors, appareil photo en main et je marche sans un bruit. Pour me faire la plus discrète possible, j'ai retiré mes chaussures. Le sol est gelé et je regrette un peu de ne pas avoir pris mes chaussures plates comme chaussons. Devant la porte de la chambre que je convoite, je colle mon oreille pour déterminer la présence d'une personne. La pièce à l'air vide. Je sors le passe-partout qu'Elric m'a confié pour ouvrir la porte. C'est une de ses nombreuses créations qui devrait m'être très utile. L'objet est une longue tige en métal tordu de façon particulière. L'inventeur m'a dit qu'il avait étudié les différents type de serrures existent pour pouvoir adapté cette sorte de clé à n'importe laquelle d'entre elle. La porte s'ouvre délicatement après qu'un petit « clic » ait déclenché le verrou. Je referme aussitôt après y être entré et débute les recherches. Je commence par les tiroirs en évitant de trop déplacer les objets rangés dedans. Je regarde sous le lit et le matelas, dans la garde-robe, derrière la commode et la coiffeuse, et même au dos du tableau représentant un portrait de la femme au visage de poupée. Je perds patience et je crains qu'il ne me reste plus beaucoup de temps. Je finis par m'asseoir sur le lit et réfléchis à ce que je peux bien faire. Peut-être que les preuves sont dans une autre pièce ? Mais dans ce cas il me faudrait plus d'une nuit pour fouiller toute la maison. Ou alors il n'y en a tout simplement pas. Après tout, qui serait assez bête pour garder des cadeaux de son amant. En réalité, je ne sais même pas ce que je recherche exactement.
Sur la table de chevet, je remarque une belle boîte à bijoux. J'utilise le passe-partout pour l'ouvrir, par curiosité, voulant découvrir les accessoires de la duchesse. La boite est très lourde et plutôt grosse, mais étrangement, à l'intérieur, il n'y a que peu de place. Vu la taille de la boite, ils pourraient au moins la faire plus profonde. Je la renverse sur le lit pour y découvrir les jolis ornements. Elle ne possède que de l'or et des pierres précieuses. Ça a l'air sympa la vie de bourge. En retournant la boite, un morceau de carton rouge s'en lève. Zut ! Je ne l'ai pas cassé quand même ? Puis, à la suite du carton, des feuille atterrissent à leur tour sur le couvre-lit. Je me permets de les ouvrir et d'en lire le contenu. Il n'y en a pas beaucoup donc soit leur relation est récente soit elle ne garde ici que certaines lettres. Curieusement, toutes les lettres ne sont pas signées du même nom. Certaines parlent d'un commerce, de ventes et de voyage. Je ne comprends pas la moitié de ce qui est écrite, mais tant pis ce ne sont pas celles-là qui m'intéressent le plus. Je désactive le son de l'appareil photo et prends quelques clichés. Cette fonctionnalité aussi, c'est Elric qui l'a mis en place. Je ne sais pas comment il s'y est pris, mais l'appareil est désormais d'une grande discrétion. Une fois, je prends l'ensemble des lettres confondu, une autre fois, je prends une lettre de près, dont les mots de l'amant prouvent une liaison. Je n'ai pas le temps de faire ça avec la totalité des lettres que j'entends des bruits de talons résonner dans le couloir. Il faut que je range. Je plie vivement les bouts de papiers avant de les reposer dans le fond de la boite. Puis je remets le morceau de cartons et les bijoux. Je dépose la boite sur la table de chevet et cherche un endroit ou me cacher. La porte de la chambre s'ouvre dans un long grincement et je me retrouve le souffle coupé, les yeux fermés et la sueur goûtant le long de l'échine. La personne s'apprête à entrer dans la pièce quand la voix d'une femme l'arrête :
-Madame, votre invité vient d'arriver.
-Bien, j'arrive. Vous pouvez disposer.
Finalement, elle tourne les talons et sa domestique referme la porte. Je me décolle du mur auquel j'étais plaqué. Se cacher derrière la porte était stupide. Si elle était entrée, elle m'aurait directement découverte. J'aurais dû me glisser sous le lit et attendre qu'elle s'endorme. Heureusement pour moi, elle n'est pas allée jusqu'au bout de son action. Je suis curieuse de savoir qui peut être cet invité. Si c'est M. d'Autin, je ferai mieux d'aller voir, mais d'un autre côté, j'ai déjà failli me faire prendre une fois. Alors peut-être qu'il vaudrait mieux ne pas tenter le diable ? Après une courte réflexion, je descends les escaliers pour rejoindre le hall. Quand je suis arrivé à la moitié des marches, j'entends la voix de Mme. Lamien accompagnée de celle d'un homme. Je continue ma descente plus doucement tout en écoutant ce qu'ils ont à se dire :
-Isabelle, vous êtes ravissante ce soir.
-Voyons Guillaume, cessez de me flatter vous allez me faire rougir.
-Mais là es tout l'intérêt de mes paroles. Vous êtes encore plus belle quand vous rougissez. Aurais-je également la chance de passer cette nuit à vos côtés ?
Aucun doute, ils entretiennent effectivement une liaison interdite par les mœurs. De plus, elle a l'air d'exister depuis un long moment. Je passe la tête par l'entrebâillement de la porte. J'arrive à apercevoir un bel homme assez grand. Il a également de beau cheveux châtain clair et un sourire enjôleur scotcher sur le visage. Je trouve que leurs beautés s'accordent bien. Pourquoi avoir épousé un homme âgé d'au moins la cinquantaine et non pas l'homme qu'elle aime ? Sûrement pour l'argent et le nom de l'homme qui est si connu. Bien que, vu la magnifique tenu qu'il porte, M. d'Autin doit être bien loin de la pauvreté. Je prends rapidement une photo avant qu'ils ne s'éloignent pour se rendre dans la pièce d'en face. Par curiosité, je les suis et reste derrière la porte, oreille collée à celle-ci. Ils sont trois à l'intérieur. Mme. Constelle est aussi avec eux. Ce n'est donc pas qu'une rencontre amoureuse.
-Avez-vous reçu ma dernière lettre ? Demanda M. d'Autin.
-Oui, vous allez bientôt devoir aller chercher de la main d'œuvres n'est-ce pas ? Questionne à son tour son amante.
-Exactement, cela vous fera plus de monde sur qui gardez un œil mesdames.
-Ce n'est rien, nous nous en sortirons très bien. Et puis si le commerce continué à croître de la sorte, nous gagnerons de plus en plus. Nos produits se vendent plutôt bien ces dernières années. Fait remarquer Mme. Constelle.
La conversation parle sûrement de leur travail. Ça ne m'intéresse pas et ne rentre pas dans le cadre de ma mission. Je remonte donc aussi discrètement que je suis descendu et retourne dans ma chambre. Je pense avoir suffisamment de preuve comme ça. Par chance, je n'ai croisé personne sur le chemin. Il se fait tard, je ne pensais pas avoir mis autant de temps dans la chambre de Mme. Lamien, mais il y a bien une heure qui s'est écoulé. Je me couche, fatiguée de ma soirée et essaye de trouver le sommeil.
Nous sommes au matin et une domestique est venue me réveiller pour me conduire au jardin d'hiver, là où nous allons prendre le petit-déjeuner. Finalement, je n'ai pas beaucoup dormi cette nuit. Je suis resté éveillé à attendre que les jeunes amants fassent le moindre faux pas, mais ce n'est jamais arrivé. Sur la table, il y a plein de petites viennoiseries qui me donne l'eau à la bouche. Mais ce festin matinal fut rapide, car Mme. Lamien avait vraiment hâte de prendre les photos. Nous nous dirigeons donc vers le jardin. Pour l'occasion, elle a mis une jolie robe aux couleurs douce qui se marie très bien avec le paysage. Je la photographie donc pendant une heure. Elle et ses amies sans donne à cœur joie prenant des poses digne de mannequin professionnel. Mme Lamien pourrait facilement se lancer dans cette profession. Les plus grandes boutiques de mode se bousculeraient pour qu'elle porte leur création.
Nous cessons cette activité quand j'annonce ne plus avoir de pellicule. La femme aux cheveux blonds à l'air un peu déçu de ne pas pouvoir continuer, mais elle me remercie tout de même et me demande de lui envoyer les photos dès qu'elles seront développées. Une des domestiques me prévient que mon chauffeur est venu me chercher. Je leur dis au revoir une dernière fois et m'en vais rejoindre Wilfried et M. Navarro.
-Je vous félicite, je ne pensais pas que vous réussiriez à rester cette nuit. Avez-vous découvert quelque chose ?
-J'ai des photos de lettres et j'ai surpris une conversation entre les deux amants, mais je n'ai rien pour le prouver. Si Guillaume d'Autin est un bel homme aux cheveux châtains alors c'est bien lui. Certaines des lettres prouvent qu'elle entretient une liaison avec un autre homme que son époux.
-Parfait. Ce sera amplement suffisant. Le nom du destinataire, est-il sur les lettres ?
-Oui, une partie est signée du nom d'Autin, mais sur les autres les noms me sont inconnus et non pas de réel rapport.
-Autres choses ?
-Non, après cela, ils ont discuté d'un commerce que j'ai jugé inintéressant donc je suis partie sans en entendre plus, mais il me semble que certaines des lettres parlaient également de cela.
-Bien, nous verrons cela une fois les photos développer. Bon travail Mlle. Gauthier, vous venez de nous montrer que vous pouviez nous être utile.
Je crois bien que c’est la première fois que j’entends des félicitations aussi sincères de sa part. Je ne l’en remercie pas pour autant, ne voulant toujours pas sympathiser avec lui, mais je suis assez fière de moi également. Je vais aussi pouvoir me vanter de mes exploits auprès des autres.
De retour au manoir, je suis directement interpellé par Charles qui me demande comment je m’en suis sortie et si cela n’a pas était trop compliqué. Je lui raconte donc tout ce qui s’est passé et surtout comment j’ai échappé à Mme Lamien. Il me confirme que me cacher sous le lit aurait était une meilleure idée, mais me complimente aussi sur ma réussite.
-Maintenant, que nous savons que tu es prête pour les missions, j’espère sincèrement que nous pourrons en faire une ensemble. Mais attention ma belle, il faudra être sérieux, donc pas de batifolage et tu devras encore moins me draguer comme tu en as l’habitude.
-Vous êtes sûr de ne pas inverser les rôles ? Riais-je.
Il hausse les épaules comme pour me dire qu’il ne comprend pas de quoi je parle. Il est interrompu par Oscar qui lui demande de me laisser respirer. Il lui fait une grimace et va s’asseoir sur une chaise. M. Navarro récupère l’appareil photo que j’avais gardé en main. Il va aller les faire développer au plus vite.
-Profitez-en pour vous reposer. Les cernes vous vieillissent.
Ça aurait presque pu être gentil s’il l’avait exprimé d’une autre façon, mais je ne m’étonne plus de rien le concernant. Il a remarqué mon manque de sommeil, c’est déjà ça. Je suis alors son conseil et me rends dans ma chambre pour quelques heures de repos plutôt méritées.
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