Je regarde Mlle. Gauthier quitté la salle sur les nerfs. Elle aurait au moins pu me laisser finir. J’espère qu’elle ne va pas nous abandonner, car je n’aurais jamais le temps de trouver quelqu’un pour la remplacer et je pense qu’Elric m’en voudra si je l’oblige à renfiler une robe. Un silence de plomb est tombé sur la salle de réunion et une tension s’est créée. Tous les regards sont tournés vers moi. Je sais bien qu’ils n’attendent pas la suite de mes instructions, mais qu’ils me reprochent plus mon comportement.
-Qu’avez-vous ?
-Eh bien, vous avez peut-être été un peu dur avec elle ? Surtout si vous ne l’avez mise au courant qu’à l’instant. Commencez Ruben.
-De plus, c’est la première fois qu’elle fait ce genre de chose. Continuez Charles. Si elle n’y est pas préparée correctement, c’est normal qu’elle prenne peur.
-Elle est préparée. Elle s’est entraînée toute la semaine avec Wilfried. Je ne vois pas ce qu’il lui fallait de plus. Rétorquais-je.
-Peut-être que la mettre au courant dès le départ comme tu avais prévu de faire aurait été une bonne idée. Fait remarqué Elric. Et tu l’as seulement préparé à bien se comporter en société. Elle ne sait sûrement pas se défendre. C’était une domestique, pas une membre de la gendarmerie.
-Tu ne vas pas t’y mettre aussi. Soupirais-je. C’est vrai que je devais tout lui dire le soir de son arrivée. Or, j’ai craint que, si elle connaissait toute l’histoire, elle s’en aille.
-Peut-être qu’elle serait partie, mais vous avez pensé au fait qu’elle peut très bien mettre les voiles maintenant ? Reprise Ruben. Si vous l’aviez prévenu une semaine plus tôt alors nous aurions eu le temps de trouver une autre solution en cas de désistement.
J’avoue ne pas avoir réfléchi comme il fallait, mais le temps nous pressait et je ne connaissais personne pouvant assurer le rôle. Or, maintenant, il est trop tard pour faire quoi que soit. Deux options s’offrent à moi : sois-je convaincs Mlle. Gauthier de rester, sois-je convaincs Elric de se travestir une nouvelle fois. Je ne sais pas lequel des deux est le plus susceptible de céder. Je voudrais éviter la deuxième possibilité. Après tout, je lui ai promis qu’il n’aurait plus jamais à subir une humiliation de la sorte.
-J’irais lui parler. Elle ne doit pas être aussi têtue que ce qu’elle laisse croire.
-Mieux vaut éviter Al. Si c’est toi qui y vas, nous pouvons être sûrs qu’elle refusera. Je te rappelle qu’elle est loin de t’apprécier et qu’en général, tu es assez direct dans tes paroles. Si tu veux, j’irai la voir pour lui demander ce qu’elle souhaite faire maintenant. Annonce Elric.
J’acquiesce et je termine d’exposer mon plan. Les dernières lignes n’auraient pas intéressé la jeune femme de toute façon alors ce n’est pas grave si elle ne les entend pas. Quand nous avons terminé, je monte à l’étage accompagner d’Elric. Il me dit qu’il va faire de son mieux pour la faire rester puis frappe à sa porte. Quant à moi, je me dirige en direction de mon bureau pour classer quelques documents. La plupart sont des demandes de client que je mets d’un côté de mon bureau pour m’en occuper ensuite. L’autre part contient des lettres de mon père ainsi que des relevés des dépenses faites ce mois-ci qu’Oscar a dû déposer dans la journée. Je prends les quelques lettres de mon géniteur avant de les balancer dans un tiroir avec toutes les autres lettres qu’il m’a envoyées, dont plus de la moitié sont encore close. Comme depuis des années, elles doivent contenir des absurdités sur ses théories complotistes contre son paternel.
Un peu plus tard, alors que je suis redescendu pour prévenir les autres que nous n'allons plus tarder à y aller, Elric arrive et nous dit que Mlle. Gauthier a finalement accepté et qu'elle est déjà partis enfiler sa robe. Je dois admettre que le calme naturel d'Elric était peut-être ce qu'il y avait de mieux pour apaiser notre appât. Je m'en vais donc dans ma chambre, accompagné de Wilfried pour me préparer.
Nous arrivons chez les Belcourt dans deux voitures et à un intervalle de quinze minutes. Wilfried, Oscar, Ruben et moi-même arrivons en premier, tandis que Mlle. Gauthier et Charles arriveront plus tard. Nous avons déposé Ruben un peu avant pour qu'on ne le voie pas descendre de notre voiture. Il devrait arriver à la maison des Belcourt un peu avant la deuxième voiture, comme ça, il aura le temps de se mettre en place et il pourra commencer à prendre ses repères. Wilfried et moi entrons dans la grande demeure. Il y a déjà plusieurs invités dont certains que je reconnais vaguement. Je perçois M. Belcourt qui vient pour nous saluer :
-M. Navarro ! Comment allez-vous ? Cela fait bien longtemps que nous ne vous avions pas vu. En-tout-cas, nous sommes ravis de vous recevoir.
-Je me porte bien, merci. Vous avez l'air d'être en forme également. Et votre femme ?
-Elle va très bien aussi. Au fait, votre père est déjà arrivé et je crois qu'il espère vraiment vous voir pour discuter. Sur ce, je vous laisse. Passez une agréable soirée ! Lança-t-il en s'éloignant.
Je me force à lui lancer un sourire. Bien qu'il ne m'a rien fait de mal, je ne l'apprécie guère. Sûrement, car il est trop proche de l'homme qui me sert de paternel. Et dire qu'il se trouve ici aussi. Maintenant, non seulement, je dois garder un œil sur Mlle Gauthier et stopper des criminels, mais en plus, je vais devoir éviter mon père toute la soirée. Je lâche un soupir d'exaspération. Pourvu que notre appât se fasse attraper au plus vite que l'on puisse partir. En attendant l'arrivée de celle-ci, je discute avec des connaissances qui ne sont pas trop désagréables. J'en profite également pour boire une coupe de champagne, même si je sais que ce n'est pas ce genre d'alcool qui fera passer la soirée plus vite.
Quelques minutes plus tard, Mlle. Gauthier passe l'entrée principale. Elle salue également M. Belcourt. Elle semble très nerveuse. Elle tente maladroitement de cacher ses mains tremblotantes et son regard et fuyant. Je dirais même qu'elle est beaucoup trop nerveuse pour quelqu'un qui est censé être habitué à ce genre de chose : elle tente maladroitement de cacher ses mains tremblotantes et son regard et fuyant. Si elle continue comme ça, elle risque d'être démasqué trop rapidement. Heureusement pour elle, M. Belcourt est trop occupé à saluer tous ceux qui arrivent pour s'en rendre compte. Son regard croise le mien et à ce moment-là, je lui fais signe de respirer un coup. Elle comprend le message et se calme. Des personnes, que la fille de M. Ranstre doit connaître, viennent pour discuter avec elle. Logiquement, ils ne devraient pas se rendent compte de la mascarade. Nous avons copié du mieux que nous avons pu les traits de la jeune femme avec un peu de maquillage et nous avons coiffé sa doublure de la façon dont elle se coiffe pour ce genre d'événement. Je pense que je commence aussi à être nerveux, car je ne peux pas m'empêcher de la suivre du regard pour m'assurer que tout va bien. Apparemment, oui, puisqu'elle discute avec eux depuis déjà plusieurs minutes et ils n'ont pas l'air d'avoir distingué une quelconque différence avec la vraie fille du vicomte.
Au cours de la soirée, je croise Charles, dans sa tenue de serveur, qui apporte des coupes. Lui et son frère ont donc réussit à se faufiler dans les cuisines sans se faire remarquer. Étant donné que le personnel est doublé pour des événements comme celui-ci, on peut facilement s'ajouter au service sans que ce ne soit flagrant. En même temps que de me servir un verre, il me fait un clin d'œil pour me dire qu'il n'a rien vu de suspect. Puis, il reprend sa route proposant à ceux qu'il croise, une coupe de champagne que je dois reconnaître comme étant très bon. M. Belcourt et sa femme n'ont pas fait les choses à moitié et cela m'arrange bien. Au moins, je ne suis pas venu uniquement pour le travail, mais je peux également profiter des choses plaisantes.
Je regarde régulièrement la fausse Mlle. Ranstre pour m'assurer qu'elle n'ait pas disparu. Depuis un long moment, elle discute avec un homme que je n'ai jamais rencontré. Celui-ci doit faire la cour à la jeune demoiselle. À moins qu'il ne cache autre chose de plus sombre ? Alors que deux amis me laissent pour aller voir quelqu'un d'autre, j'entends les mots les plus agaçants qui puissent être prononcés.
-Pierre-Marie, comment allez-vous ?
Avec un peu de chance, il ne m'a pas encore vu. J'essaie donc de m'éloigner le plus discrètement possible, mais évidemment, ça ne pouvait pas être aussi facile.
-Aléandre !
Je n'ai plus le choix. Je me retourne donc avec mon plus beau sourire hypocrite, prêt à l'affronter.
-Père quel heureux hasard. Dis-je faussement enjoué.
-Fils, ne pourrais-tu pas être un peu plus jovial et sincère quand tu dis cette phrase.
-Je crains bien d'avoir fait de mon mieux.
Je le vois perdre son horrible rictus pendant une fraction de seconde. Mais il se reprend vite. Il ne voudrait pas que je prenne cela pour une victoire.
-On m'a dit que tu avais commencé à travailler. Je crois t'en avoir parlé dans une des nombreuses lettres auxquelles je n'ai jamais eu de réponse. Alors, est-ce vrai ?
-Effectivement mais cela fait déjà un moment.
-Et que fais-tu exactement ?
-Rien qui ne doit te préoccuper et toi ? Je suppose que tu cherches toujours à t'implanter sur le continent américain ? Dis-je pour détourner l'attention.
-C'est exact et je pense même pouvoir bientôt y arriver. Tu sais, que ma porte est toujours ouverte si tu souhaites enfin accepter mon invitation à collaborer ? Je suis persuadé qu'ensemble, nous pourrions découvrir beaucoup de chose.
Il veut absolument me convaincre que mon grand-père, son père, est à l'origine d'une horreur sans nom. Évidemment, il n'a aucune preuve de ce qu'il avance, mais il refuse d'abandonner. Personnellement, la seule chose dont je suis persuadé, c'est qu'il a besoin d'aller en soin psychiatrique.
-N'espère pas trop, je n'accepterais jamais de travailler pour une ordure comme toi.
-Je te rappelle que tu me dois le respect, tu as beau ne pas m'apprécier, je reste ton père ! Réplique-t-il en haussant un peu le ton.
À mon plus grand bonheur, un homme vient nous interrompre afin de saluer mon père. Je profite de ce moment d'inattention pour leur faire faux bond. Tout en marchant à travers la grande pièce, je cherche la jeune femme aux cheveux Châtains du regard. J'ai beau regarder dans toutes les directions et faire plusieurs fois le tour de la pièce, je ne l'aperçois pas. Je vais donc à la rencontre d'Oscar pour savoir s'il n'aurait pas des nouvelles.
-Je l'ai perdu il y a cinq minutes. Charles et moi étions en même temps dans les cuisines et il m'a dit que depuis il ne l'a pas vu non plus. On pense qu'elle est partie avec l'homme avec qui elle discutait tout à l'heure.
-Va voir Ruben pour lui demander s'il les a vus et reviens me voir.
Il hoche la tête en signe d'approbation et fait demi-tour. Je continue de chercher un peu partout au cas où je l'aurais loupé, mais en vain. Si même les jumeaux disent qu'ils ne l'ont plus vu depuis un certain temps, c'est qu'elle est partie. Je n'aurais pas dû la lâcher du regard, mais je me suis laissé déconcentré. Si jamais nous la perdons, nous ne retrouverons jamais ni les victimes ni les agresseurs ! Je décide de rejoindre Ruben et Oscar dehors, de toute façon ça ne sert à rien de rester ici. Je m'excuse auprès de M. Belcourt en lui disant que j'ai une urgence, ce qui est vrai. Wilfried me suit de près et nous nous dirigeons vers le trottoir d'en face. Charles est également présent et ils nous attendent.
-Qu'est-ce qu'on fait patron ? Je ne les ai pas vus sortir donc c'est forcément qu'ils sont encore à l'intérieur. Annonce Ruben.
-Sommes-nous sûrs que l'entrée principale est la seule sortie existante ? Demandais-je.
-Non. Répond Oscar. Il y a une porte qui mène dans le jardin. On y accède depuis le couloir qui conduit jusqu'à la cuisine.
Je prends le temps de réfléchir à ce que nous allons faire. Techniquement, le plan reste toujours le même, bien qu'on ne sache pas où Rose a disparu. Je n'ai pas le temps de pousser ma réflexion plus loin que je distingue un couple marcher dans la cour, là où sont stationné quelques voitures. La femme porte une robe rouge que je reconnais tout de suite. Je demande aux autres de confirmer ma vision et ils me répondent qu'ils voient la même chose que moi. Pour l'instant, nous ne pouvons pas nous approcher au risque de faire peur à l'homme, s'il est bien celui que l'on recherche. Je vois la femme reculer de quelques pas, hésitante. Puis un second homme sortir de derrière la voiture pour venir l'attraper. C'est donc bel et bien Mme Gauthier. Elle commence à se débattre, mais ses mouvements deviennent de plus en plus lents et faibles. Plus aucun doute, c'est un enlèvement ! Il jette Mlle Gauthier dans la voiture avant de s'asseoir à son tour et de démarrer. Dès qu'ils ont quitté la résidence, nous nous empressons de rejoindre nos voitures pour les prendre en filature.
Nous restons toujours à une certaine distance pour être sûr de ne pas se faire prendre. Après un bon quart d'heure de route, ils s'arrêtent devant une vieille boutique d'antiquité. Un homme, sûrement le propriétaire vient leur ouvrir. Ne pouvant pas nous arrêter nous continuons tout droit pour nous garer dans une autre rue. Nous revenons rapidement sur nos pas pour pouvoir observer ce qu'il se passe. D'ici, je ne peux pas entendre ce qu'ils se disent, mais ils ont l'air assez heureux. L'un des deux hommes sort Mlle Gauthier, encore endormis, de la voiture et la transporte dans la boutique. Je sens quelqu'un me tapoter l'épaule. En me retournant, je vois que c'est Charles qui souhaite me parler.
-On devrait aller l'aider maintenant. Nous savons que c'est ici qu'ils les gardent toutes enfermées alors ne les faisons pas attendre plus longtemps.
-Non. Nous allons rentrer au manoir. Ordonnais-je.
-Mais enfin, ce n’est pas ce qui était prévu ! S’indigna-t-il.
-Je sais, mais j’ai une meilleure idée. Nous reviendrons le jour de la vente comme ça, nous pourrons aussi bien arrêter les acheteurs que les vendeurs.
-Mais nous n’avons aucune idée de quant à lieu la vente. Si ça se trouve, nous devrons attendre plusieurs semaines ! De plus, Rose nous fait confiance pour la sortir de là au plus vite.
-Elle attendra. Je veux être sûr de mettre fin à tout cela une bonne fois pour toutes. Ils ne peuvent pas être que trois à diriger tout un trafic de femme.
Je coupe la discussion-là et retourne à la voiture. Il faut que je me procure la date au plus vite sinon nous ne reverrons plus jamais Mlle Gauthier et Dieu sait qu’elle risque de me maudire si elle finit vendue. De plus, nous n’aurons sûrement plus une telle occasion de les attraper.
Sur le chemin du retour, je suis seul avec Wilfried, ce qui me permet de réfléchir pendant qu’il conduit. Je me prépare également au sermon d’Elric. Il déteste quand j’improvise de la sorte et encore plus quand ça met la vie d’autrui en danger. En réalité, ils détestent tout ça alors qu’ils sont les premiers à tuer quand l’argent suit. Les autres ne diront rien, car je suis leur patron et qu’ils ne voudront pas prendre le risque de se faire virer, mais je sais que si ce n’était pas le cas, ils m’en auraient déjà tous collé une. Mais qu’ils me comprennent, je ne suis pas si mauvais.
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