Après le premier coup de feu, George m’ordonne de me mettre à terre et de ne plus faire un bruit. Quelques secondes passent et un second tir se fait entendre. Je réprimande mon sourire du mieux que je peux en sachant que maman et moi allons enfin pouvoir partir trouver un meilleur travail. Il en est fini des insultes et des coups. Elle, qui a subi cela pendant toutes ces années, pourra enfin être soulagée. Je ne sais pas encore comment nous allons nous débrouiller étant donné que nous habitons chez M. Arlot et que notre salaire n’est pas très élevé, nous n’avons jamais eu d’habitation nous appartenant. Peut-être qu’Armand, l’ancien cuisinier, accepterait de nous héberger quelques semaines, le temps de trouver un nouveau travail et une nouvelle maison qui nous serait propre. En regardant dans le couloir, mon regard croise celui de M. Navarro. Il se détourne et part rapidement, sûrement pour clôturer cette soirée au plus vite. Quand la porte claque, annonçant leur départ, je me relève et me précipite vers la salle à manger. J’espère qu’elle n’est pas trop sous le choc.
En entrant dans la grande pièce, je vois le corps sans vie de M. Arlot, le front troué et ensanglanté. Il est appuyé contre le dossier de sa chaise, les yeux et la bouche grande ouverte. Cette vision me dégoûte légèrement. Puis une nausée plus puissante me vient, me donnant envie de vomir. Ma vision ce brouille petit à petit et je n’arrive plus à sortir aucun son de ma bouche. Ce n’est pas la vue du cadavre de mon ancien maître qui me répugne à ce point, mais celui de ma pauvre mère, allongée au sol, baignant dans son propre sang. Son tablier et sa robe sont imbibés du liquide rougeâtre tandis qu’elle gît inconsciente. Elle n’a tout de même pas essayé de sauver l’homme qui l’a traitée comme une bête pendant toutes ces années ? Non, impossible. Je la connais et elle n’aurait pas su quoi faire face à une arme. Elle serait restée paralysée par la peur et aurait attendu que tout soit fini. Elle n’aurait ni bougé, ni criée, ni pleurée. Elle n’aurait pas essayé de se cacher ou de se protéger. Elle avait peur de l’inconnu et de tout ce qui ne rentrait pas dans sa routine et aujourd’hui ça lui aura coûté la vie.
George se tient juste derrière moi, balayant également la scène du regard. Il s’approche des corps et prend leurs pouls. Il tapote leurs joues espérant peut-être une réaction. Mais rien ne se passe. Lui comme moi savons qu’on ne peut plus rien faire si ce n’est pas appelé les secours. Il m’attrape par les épaules, me faisant sortir de la salle. Dans le couloir, nous croisons Jaques, le gardien, qui s’est certainement pris un coup vu le sang qui coule lentement de sa narine droite.
-Je vais appeler la police. Me dit-il la voix légèrement tremblante. Tu devrais aller te rafraîchir ou prendre l’air, tu es très pâle.
Je le vois s’éloigner pour chercher le téléphone. Je ne peux pas rester là. Je ne peux pas rester dans cette maison. Je ne veux plus rester dans le lieu où ma mère a été descendue de sang-froid. Je titube donc jusqu’à la porte d’entrée et respire un grand coup. Après avoir repris mes esprits, je me mets à courir le plus vite que je peux. Tout ce qu’il me reste à faire est de m’éloigner rapidement de la scène du crime et de ne plus y remettre les pieds. Les larmes ne cessent de couler sur mes joues et j’ai la tête qui tourne. L’odeur du sang frais me revient en mémoire. Elle parait présente sur moi. Même si je suis loin, elle embaume encore, mais voies respiratoire. Je ne cours pas bien longtemps, mes capacités physiques sont limitées. Mais je pense mettre suffisamment éloignée pour pouvoir me permettre de marcher. Je passe dans une petite ruelle où il n’y a pas un chat et vomi. Entre l’odeur et les images des corps morts, mon cœur ne tient pas le choc.
Suite à plusieurs passages dans des rues que je ne reconnais pas à cause de l’obscurité, je m’assoie sur un banc me demandant ce que je pourrais bien faire à présent. Je crois reconnaître la place où a lieu le marché. Au final, je n’ai fait que tourner en rond, mais je commence à fatiguer et je n’ai plus envie de me lever. Je n’ai plus cas dormir ici pour cette nuit et je chercherais une solution demain matin. Je m’allonge donc sur le banc, les genoux collés contre ma poitrine pour tenter de me réchauffer un peu. Celui-ci est dur et gelé, m’empêchant de trouver une position confortable. Il fait froid ce soir et j’ai oublié de prendre mon manteau avant de partir. C’est un coup à tomber malade, mais tant pis. De toute façon, je ne peux pas retourner le chercher. En fermant les yeux, je revois l’horrible scène de tout à l’heure et les nausées reviennent. Je n’aurais pas dû accepter d’aider cet homme. Lui qui m’avait dit qu’il nous épargnerait. Au final, il ne vaut sûrement pas mieux que M. Arlot. Je prends tout de même sur moi et referme les paupières, sans bouger, en attendant de m’endormir.
Je suis secouée et j'entends que l'on m'appelle. J'aperçois la clarté du jour à travers mes paupières et devine que nous sommes au matin et que finalement la nuit, c'est passé sans encombre. La voix qui m'appelle et qui me paraît de moins en moins lointaine parle à quelqu'un d'autre :
-Tu penses qu'elle est en hypothermie ?
-Non, elle est juste paresseuse. Râle une seconde voix plus grave et sèche.
-Elle a quand même passé la nuit dehors.
-Laisse-moi faire. Mlle Gauthier, veuillez-vous lever de suite. J'ai autre chose à faire.
Je décide de faire face aux deux personnes m'embêtant, me demandant ce qu'ils veulent. Je me relève en me frottant le dos. Je dois avoir la marque du banc imprégné sur la peau et quelques bleus également. En m'asseyant convenablement, je prends enfin conscience de qui se trouve en face de moi. Un homme en costume, les cheveux bruns plaqués en arrière avec une petite mèche retombant sur le front et une expression lasse sur le visage : Aléandre Navarro !
-Je ne sais pas ce que vous me voulez encore, mais vous avez intérêt à me laisser tranquille. Je ne veux plus rien avoir à faire avec vous ! M'exclamais-je en m'en allant.
Un homme plutôt âgé attrape le dos de ma robe et me met face à l'assassin et à son ami. Je le reconnais également, il était présent aussi la nuit dernière. Je ne peux m'empêcher de les regarder avec haine et dégoût.
-Je sais que je dois être la dernière personne que vous souhaiteriez voir en ce moment, mais j'aurais encore besoin de vos services.
-Non.
-Je n'ai pas terminé de m'expliquer.
-Je me fiche pas mal de ce que vous comptez dire. Ma réponse est non.
-Écoutez au moins jusqu'au bout.
-J'ai dit non. Vous pensez pouvoir passer au-dessus de la seule condition que je vous avais imposée et revenir me voir le lendemain parce que vous avez encore besoin de moi ?
Je tourne la tête pour montrer que je ne céderais pas. Il est hors de question qu'il me réutilise à son avantage. Notamment, que je suis persuadé qu'il n'y a rien d'avantageux pour moi. Je l'entends souffler, agacé, puis dire à ces compagnons qu'ils s'en vont. L'homme me lâche enfin et rejoint les deux autres. Je vois que l'ami de M. Navarro, Elric Morel, lui chuchote quelque chose avant de revenir vers moi.
-Peu importe ce que vous direz, je ne changerais pas d'avis.
-Écoutez Mlle. Gauthier, je pense qu'en ce moment vous vous trouvez dans une situation assez délicate. Donc je vous propose un arrangement qui jouera en votre faveur également cette fois.
Je réfléchis un instant. Après tout, rien ne me coûte d'écouter sa proposition et si cela ne me convient pas, je n'aurais cas rester sur ma décision. Et puis, il a l'air bien plus agréable que son compère.
-Bien, je vous écoute.
-Ce qu'Aléandre voulait vous proposer, c'était de prendre part à une de nos missions. Pour la réaliser, nous avons besoin d'une jeune femme comme vous. Vous n'aurez pas à blesser qui que ce soit je vous le promets. En échange, nous pouvons vous proposer de rester vivre avec nous le temps que passe la mission et que vous trouvez un autre logement. Qu'en dites-vous ?
Il est vrai que j'aurais besoin d'un toit, car si je continue ainsi il y a un matin où je ne me réveillerais pas. J'aurais préféré retrouver Armand et lui demandais de m'aider, mais je ne suis pas sûr de là où il se trouve. Si mon rôle ne consiste pas à blesser qui que soit ou à commettre un homicide alors je pense pouvoir accepter, mais cela ne veut pas dire que je leur pardonne. Je dois à mon tour les utiliser.
-Finalement, je pense revenir sur ma réponse.
Il m'offre un sourire et m'invite à le suivre. Un peu plus loin, nous montons dans une voiture et nous nous rendons à la résidence où nous allons cohabiter. Je regarde le paysage défiler par la vitre tout en tendant l'oreille pour écouter les échanges des deux hommes.
-Comment as-tu réussi à la convaincre ?
-Je lui ai dit qu'elle pouvait rester vivre avec nous.
-Je te demande pardon ?! Tu n'aurais pas pu me le dire avant ?
-Non, tu aurais refusé que j'aille lui parler sinon. Or, nous avons vraiment besoin d'elle.
M. Navarro ne répond pas, mais fronce les sourcils, et son ami souris de satisfaction. Nous arrivons assez rapidement à un manoir isolé de la ville. Je dois bien admettre que le bâtiment est magnifique et il possède également un très beau jardin. En somme, les privilèges des riches. Nous sortons de la voiture et entrons dans le manoir. Des voix émanent d'une pièce. Nous nous dirigeons vers celle-ci et je rencontre trois hommes que je n'avais pas encore vus. Deux d'entre eux jouent aux cartes pendant que le troisième lit un livre. Ils se retournent tous vers nous avec un air curieux probablement dû à ma présence.225Please respect copyright.PENANAeorLkkRHZA
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-Messieurs, je vous présente Rose Gauthier. Elle va rester avec nous quelque temps pour nous aider dans une prochaine affaire. Expliqua rapidement M. Navarro. Quand vous aurez fini de discuter avec eux, venez me voir dans mon bureau.
M. Morel me présente ensuite les trois hommes. Le premier, celui qui a les cheveux en bataille, se nomme Charles Mandrin et d'après ce que j'ai compris, il est en train de perdre face à Ruben Durand, un ancien soldat. Le dernier, celui qui est en train de lire et qui ressemble fortement à M. Mandrin, mais en mieux coiffé est Oscar, son jumeau. M. Mandrin me sourit gentiment avant de replonger la tête dans son bouquin et l'ancien soldat me fait un signe de la main tout en prenant une gorgée d'une boisson qui doit être alcoolisée. Le seul qui vient me voir et qui m'adresse la parole est le blond décoiffé et de par ses manières, je peux déduire que c'est un charmeur.
- Bonjour jolie demoiselle. Je suis ravi de t'accueillir au sein des Buglosses. M'accoste-t-il en passant son bras autour de mes épaules. Si jamais tu as besoin de quoi que ce soit n'hésite surtout pas à me demander. Les deux autres ne sont pas très bavards et le patron est souvent occupé, mais je suis à ta disposition.
-Merci. Répondis-je tout en sentant mes joues chauffer à cause de la proximité.
-Charles laisse la tranquille. Tu ne vois pas que tu la mets mal à l'aise ? Expliqua son frère en remontant ses lunettes sur son nez.
-Non, ne vous en faites pas. Je me disais juste que je ne devrais pas trop faire attendre M. Navarro.
-Vous avez le temps ne vous inquiétez pas. Me rassure M. Morel. Et si je vous faisais visiter la propriété ?
J'écoute attentivement les explications qu'il me donne tout en regardant les décorations telles que les vases ou les tableaux. De ce que m'a dit M. Morel, les chambres se trouvent toutes à l'étage, ainsi que le bureau de M. Navarro. Au rez-de-chaussée, nous avons donc, la cuisine, la salle de réunion, la salle à manger, la salle de bain et la buanderie. À l'extérieur, il y a une magnifique serre qui est apparemment le lieu où M. Navarro vient se détendre, car la vie au manoir peut vraiment être épuisante et bruyante. La serre semble magnifique et fortement fleuri, mais nous ne nous y attardons pas. Nous avançons vers le fond du jardin et j'y découvre une sorte de grand cabanon. C'est ici que M. Morel répare des objets divers et en invente des farfelus pouvant servir lors de mission. À la suite d'une courte discussion, il me guide jusqu'au bureau d'Aléandre. Il frappe à la porte et l'on obtient l'autorisation d'entrer. Elric me laisse seul dans le bureau et dès qu'il referme la porte un grand froid s'installe. Il peut être sûr que je ne compte pas me montrer douce et gentille après ce qu'il a fait. Je laisse mon regard planté dans le sien, ne me laissant même pas la liberté de regarder le bureau qui a pourtant l'air très beau.
-Je voulais discuter avec vous de ce pourquoi vous êtes ici.
Je ne réponds pas, mais le regarde toujours montrant que je l'écoute.
-Vous allez devoir vous infiltrer à une soirée mondaine en tant que fille d’un agent immobilier assez connu sur Paris. Vous lui ressemblez suffisamment pour que les gens ne fassent pas la différence. Pour cela, il va falloir apprendre les mœurs des fortunés sinon je crains que vous ne soyez découverte peu de temps après avoir passé les portes. Donc, jusqu’à la date de cette soirée, vous allez prendre des cours et vous entraîner avec Wilfried, mon majordome.
-Bien. Répondis-je froidement.
-Dans ce cas, vous pouvez y aller.
Je sors du bureau et redescends rejoindre le reste du groupe. À peine suis-je arrivé que Charles m’invite à m’asseoir à côté de lui et entame la discussion. Je leur pose des questions sur un peu de tout pour pouvoir avoir idée plus précise sur ce dans quoi je mets les pieds.
-Tout à l’heure, vous avez parlé de Buglosses. Je sais qu’il s’agit d’une fleur, mais je n’ai pas compris la signification que cela a ici.
-Il s’agit du nom de notre groupe. Tous nos actes sont signés de ce nom pour ne pas que nous soyons retrouvé trop facilement. Il me semble que cette fleur a une signification importante pour le patron.
Nous continuons la discussion et M. Mandrin en profiter pour placer des compliments dès qu’il le peut. Bien évidemment, il se fait rapidement reprendre par son frère ce qui peut donner des scènes assez comique. Je comprends un peu mieux ce que voulait dire M. Morel par « épuisant ».
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