Je m’en vais en direction du photographe tandis qu’Elric s’en va chez un garagiste qu’il connaît plutôt bien. Il a besoin de nouvelles pièces pour une création en cour. J’irais le chercher un peu plus tard puisque de toute façon, il ne pourra pas tout transporter seul. Il dit qu’il saura être raisonnable, mais il va toujours dans l’excès. Nous atteignons rapidement la petite boutique du photographe. Heureusement pour nous, il accepte également d’imprimer les photos des clients. Nous entrons dans la salle vide. Il doit sûrement être occupé à l’arrière du magasin. Dans le fond de la pièce, se trouve un tabouret pour les sessions photos de ses clients. Le fond est un simple rideau marron qui paraît assez poussiéreux. Différents clichés pris par cet artiste sont exposés sur les murs. On peut y voir des paysages campagnards ou bien les rues de Paris. Il y a également des portraits de parfaits inconnus. Juste derrière le comptoir, en grand, on peut voir celui du Président. Il a eu la chance de le photographier. Il a vraiment une bonne réputation et c’est bien pour cela que j’ai choisi de lui confier notre appareil. Je m’avance jusqu’au comptoir en bois et appuie sur la petite sonnette pour appeler le commerçant. Peu de temps après, nous le voyons sortir de derrière une porte. Je lui explique ce pourquoi nous sommes là et il accepte de suite notre demande.
-En revanche, je ne pourrais pas m’en occuper avant un moment. J’ai énormément de travail ces derniers jours et le développement des photos prend du temps. Je pense qu’elles devraient être prête d’ici un petit mois.
-Bien, je viendrais les chercher dans un mois alors. Aussi, serait-il possible de ne pas prêter attention à ce qui s’affichera. Certaines d’entre elles sont assez... Personnel.
-Aucun problème monsieur. De toute façon, je ne regarde jamais les photos des clients à part pour m’assurer qu’elles sont correctement imprimées. Et ensuite, je les mets dans une enveloppe, rangé dans un tiroir.
-Alors c’est parfait. Au revoir.
Nous ressortons tranquillement et je décide de faire un petit détour pour profiter des jolies rues de Paris, et c’est surtout parce que je connais Elric et qu’il n’a sûrement pas fini de dévaliser les vieilleries du garagiste. Accompagné de Wilfried, je me perds dans les petites rues. Ce sont mes préférées. Il n’y a pas trop de passage et c’est plutôt calme même si on peut y faire des rencontres assez spéciales, mais ça reste rare. Tout en marchand, je prends soin de reluquer tout ce qui m’entoure. Ça faisait longtemps que je n’avais pas pris le temps de me promener en regardant ce qui se passe autour. Je suis toujours pressé, à courir à droite à gauche pour répondre aux attentes de mes clients ou pour aller à la rencontre du commissaire.
- Aléandre, mon fils, vient donc te joindre à moi. S’exclama une voix que je reconnais de suite.
En me tournant vers un charmant petit café, je remarque la présence d’un homme aux cheveux bruns plaqués en arrière avec quelques mèches grises qui s’y perdent. Dites-moi que je rêve. Mon père est assis à la terrasse du café, en train de siroter un verre à demi rempli d’une liqueur brune. Maintenant, qu’il m’a interpellé et que tous les regards sont dirigés sur ma personne, je n’ai pas vraiment d’autres choix que de le rejoindre. Je m’installe alors en face de lui, mais ne prends pas la peine de commander quoi que ce soit vu que je sais pertinemment que cette petite réunion familiale va vite prendre fin.
-Je vois que tu te portes bien.
-Efficacité. Répondis-je froidement.
-Combien de fois devrais-je te dire de te montrer chaleureux envers ton vieux père ?
-Si ce n’est que pour échanger des banalités, je préfère encore partir.
-Bien alors oublions les formules de politesse et venons-en au fait. Tu sais très bien ce que je veux.
-Et tu sais très bien que je refuserais peu importe ce que tu proposeras.
-Je sais très bien que ton grand-père t'a laissé ses derniers vœux avant de mourir. Je voudrais juste les consulter voilà tout. On ne sait jamais, il aurait pu penser à son fils.
Depuis le décès de mon grand-père, il ne cesse de me demander de lui remettre son testament. Or, je ne l'ai pas. J'ai pourtant cherché à mainte reprise un quelconque bout de papier qui aurait pu être signé de sa main, mais rien. Pourtant, il s'agissait d'un homme prévoyant et consciencieux alors j'étais persuadé qu'il en aurait écrit un. Je me demande bien ce qu'il pourrait y avoir d'important dans cette lettre pour qu'il la veuille à ce point. La seule chose dont j'ai hérité est le manoir, mais c'est uniquement parce qu'il était sur le testament de ma grand-mère.
-Tu m'agaces à me réclamer en continu quelque chose que je n'ai pas, et sans jamais me donner d'explication qui plus est.
-Tu veux des explications ? D'accord, je vais t'en donner. L'homme que tu idolâtres n'était pas aussi bon que tu le penses. Je suis persuadé qu'il nous cachait quelque chose et je veux savoir de quoi il s'agissait. Tu as vécu avec eux pendant un certain temps alors il me paraissait plus qu'évident qu'il te mettrait dans la confidence.
-Et si c'était vraiment le cas, tu pensais que je te donnerais des informations aussi précieuses sans même riposter ? Il faudrait être idiot pour croire ça.
-Ne m'insulte pas de la sorte. Je suis ton père que tu le veuilles ou non nous sommes liés toi et moi et c'est la raison pour laquelle je me suis dit que mon cher fils me ferait confiance. Balance-t-il comme si c'était logique.
-Ma confiance en toi à était ébranlée à partir du jour où tu as osé lever la main sur elle. Sur moi, je pouvais encore l'accepter, mais comment a tu pu blesser une femme aussi douce et fragile que maman.
-Tu penses vraiment que cela m'a fait plaisir ? J'aimais ta mère plus que quiconque. Est-ce ma faute si elle est entrée dans la pièce au moment où j'ai balancé ce vase contre la porte ?
-Tu n'avais pas cas apprendre à gérer ta colère. À ce que je sache ce que tu m'a fait subir pendant toutes ces années était loin d'être des accidents.
-Je te forgeais un avenir et un caractère pour faire face au monde qui allait te percuter de pleine face.
-Il y a des manières plus pédagogiques que les coups pour cela.
-Pourquoi n'acceptes-tu pas les excuses que je te présente ? Il n'y a aucun doute sur le fait que Cassandre soit ta mère, tu es aussi bornée qu'elle. Si elle avait écouté ce que je lui avais dit, jamais elle ne serait décédée aussi bêtement !
Ce fut la phrase de trop. Si nous n'étions pas entourés d'autant de personnes, je n'aurais pas hésité une seconde à user de la violence, mais, hélas, j'ai une réputation à tenir. Je me lève donc sans piper mot et m'éloigne au plus vite de la terrasse.
Nous avons récupéré Elric et tout son matériel. Heureusement que nous sommes trois, car même avec autant de bras, le transport n'est pas facile. Nous aurions peut-être dû déplacer la voiture jusqu'au garage cela nous aurait évité de faire autant de chemin à pied. Il remarque rapidement que je suis contrarié et comme le bon ami qu'il est, il me demande pourquoi j'ai ce regard haineux. Je lui raconte ce qui m'est arrivé et il me dit que le mieux est d'ignorer cette rencontre. Plus facile à dire qu'à faire.
Accoudé sur le grand bureau en bois de grand-père, je lis les courriers qui viennent d'arriver. L'une d'entre elles en particulier attire mon attention. Elle est signée de mon correspondant américain qui m'annonce que je peux venir récupérer ce que je lui avais demandé il y a plusieurs mois. Je n'ai aucune envie de m'absenter durant un long moment. Bien que je fasse confiance à Elric pour veiller sur le manoir, je ne peux m'empêcher de m'imaginer les pires scénarios. Je ne peux pas non plus envoyer quelqu'un d'autres à ma place puisque ce projet est des plus secrets. Je partirais au plus vite et ferais en sorte de ne pas trop m'attarder là-bas. Pour rejoindre le continent américain, il va falloir que je trouve une embarcation. Je sais qu'aucun bateau de croisière ne nous acceptera moi et Wilfried, mais peut-être qu'un cargo nous prendrait si on propose notre aide. Une autre solution serait d'emprunter le bateau de mon père, mais je crois bien préférer faire la traverser à la nage plutôt que de lui demander service.
Nous sommes déjà en fin d'après-midi. J'ai réussi, par chance, à trouver un bateau de marchandise qui nous accepte comme employés temporaires. Je vais me retirer dans la serre. J'ai besoin d'un moment de calme et de solitude pour faire le point sur les jours qui arrivent. Cette serre était le lieu favori de ma grand-mère, et donc de mon grand-père qui en prenait soin comme si c'était le plus précieux de ses trésors. Il voulait absolument qu'elle garde une beauté éternelle pour pouvoir admirer l'émerveillement qui brillait dans les yeux de sa femme quand elle s'y rendait. Quand j'entre dans le dôme de verre, j'aperçois Mlle Gauthier, accroupis, en train de s'occuper des plantes. J'avais oublié que c'est elle qui est chargée de cette tâche désormais. Je vais tout de même m'asseoir sur le banc derrière elle et la regarde travailler.
-Je peux faire quelque chose pour vous peut-être ? Dit-elle froidement sans me jeter un regard.
-Non, vous pouvez continuer ce que vous faites. Répondis-je en détournant les yeux.
-J'avais fini de toute façon.
-Vous m'en voulez encore ?
- Dois-je vous rappeler ce que vous avez fait ?
-Ce n'était qu'un accident.
-Un accident qui lui a coûté la vie. Vous pensiez vraiment que vous pouviez tuer ma mère sans que je n'éprouve aucune rancœur envers vous ?
-Évidemment que non. J'admets avoir fait une erreur Mlle. Gauthier, une très grosse erreur même et je le regrette. Mais hélas ce qui est fait, est fait et ce n'est pas réparable donc je pense que nous pourrions arrêter notre querelle ici et reprendre sur de meilleures bases. De plus, nous vivons sous le même toit et travaillons ensemble, ce sera plus agréable pour tout le monde. Ce que je vais vous demander n'est pas simple, mais essayer d'oublier.
-Vous n'avez pas de cœur ou bien vous n'avez jamais perdu quelqu'un d'important pour comprendre un peu ce que je peux ressentir ?
-Je sais que vous êtes en colère, mais surtout perdu. Contrairement à ce qu'on pourrait croire, j'ai un cœur et je sais ce que c'est de perdre un être cher.
Elle me regarde avec incompréhension et l'envie d'en savoir plus. J'ai attisé sa curiosité. Autant tout lui raconter pour lui montrer qu'elle n'est pas seule et tentée de briser la glace. La tension qui existe entre nous commence à être pesante.
-J'ai également perdu ma mère il y a quelque temps. Il a été déclaré que c'était un suicide, mais je suis persuadé que c'est faux. Je pense que ma mère savait quelque chose qu'elle n'aurait jamais dû savoir et qu'elle a était assassiné.
J'ouvre la montre que je garde toujours avec moi et en sort un bout de papier soigneusement plié. Il s'agit de la photo de ma chère mère. Sur ce portrait, elle est assise sur un fauteuil et regarde l'objectif. Son regard est doux et tendre, comme il l'a toujours été. Malgré l'âge, elle n'avait jamais pris une ride. Ses longs cheveux bruns tombent en cascade sur ses épaules et son magnifique sourire me rends nostalgique. Je lui montre le cliché.
-Je suis désolé d'avoir dit cela. Je n'aurais pas dû parler sans savoir.
-Ce n'est rien, j'admets avoir également été un peu trop dur avec vous et je m'en excuse.
-Savez-vous qui a assassiné votre mère ?
-Je n’ai aucune preuve, mais le seul coupable à mes yeux est Pierre-Marie Navarro. Une certaine tension, c’était installé entre eux. J’étais présent le jour de sa mort. Ils étaient venus ici pour une raison que j’ignore et lorsque je dormais paisiblement dans ma chambre, un coup de feu a fait trembler les murs de ce manoir. Je n’ai pas osé sortir de mon lit, j’étais encore assez jeune. Après quelques minutes, ma grand-mère m’a rejoint et nous avons attendu ensemble, dans le silence. Plus tard, nous avons entendu la sirène qui indiquait l’arrivé de la police et en descendant, nous avons découvert le corps de ma mère, sans vie. C’est le commissaire Lefèvre, un bon ami, qui a pris l’affaire en main. Il m’a beaucoup aidé et m’a même hébergé chez lui pendant quelques temps lorsque je n’avais nulle part où aller. Je lui suis extrêmement reconnaissant pour son aide. À la suite de cette tragédie et après le décès de mes grands-parents, j’ai formé ce groupe.
-Au fait, pourquoi avoir choisi ce nom ? Les Bugloss, c’est assez étrange pour un groupe de criminel.
-Cette fleur est le logo de la marque de montre de mon grand-père. C’était un symbole important pour lui alors s’en est devenu un pour moi également.
-Je suppose que maintenant, vous cherchez ce qu’a bien pu découvrir votre mère ?
-Effectivement et je compte bien y arriver. Et maintenant, pouvons-nous repartir du début ?
-Je suppose que oui. Vous avez raison, je vais essayer de faire un effort pour repartir à zéro.
Relâchant ma garde, je laisse échapper un petit sourire que je rattrape rapidement. Il ne faudrait pas qu’elle pense que je suis heureux à l’idée qu’elle accepte, même si sa réponse ne me laisse pas indifférent. Je préfère avoir une bonne entente avec tous les membres de mon équipe. Heureusement, elle s’est retournée avant de le voir.
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