Nous nous tenons devant la boutique du tailleur. Wilfried m’ouvre la porte et j’entre. Albert, le propriétaire de la boutique et mon informateur sur les enquêtes de la police, m’accueille chaleureusement. Il s’en va à l’arrière de la boutique pour chercher la veste de costume que je lui ai laissé quelques jours plus tôt. Je m’avance jusqu’au comptoir et le vois revenir avec la veste noire. Je le regarde et un léger sourire s’affiche sur mes lèvres. Il fait comme s’il n’avait rien vu sachant très bien ce que ça veut dire. Au moment de payer, je lance la conversation :
-Au fait comment va votre frère ?
-Cessez les formalités, je sais pertinemment que vous n’attendez pas des nouvelles de mon frère.
-D’accord, je l’avoue. Dans ce cas, où est-il ? J’aimerais m’entretenir avec lui.
-Il ne travaille pas aujourd’hui, mais je n’ai aucune idée de là où il peut bien être allé. Répond-il tout en retroussant son nez.
-Albert, pourquoi me mentez-vous ?
-Comment pouvez affirmer que je mens ? Je ne connais pas les moindres déplacements de mon frère.
-Vous ne cessez de remuer le bout de votre nez quand vous mentez. Sans doute un tic nerveux.
D’aussi loin que je me souvienne, Albert Lefèvre a toujours eu cette drôle d’habitude. Impossible pour lui de mentir face à quelqu’un qui le connaît un peu trop bien, mais en général, les gens qui lui parlent ni prête pas attention. Je serais sûrement encore en train de l’ignorer moi-même si Siméon Lefèvre, son frère aîné, ne me l’avait pas fait remarqué.
-J’étais pourtant sûr de m’être débarrassé de cette vilaine habitude. Vous savez, je m’entraîne beaucoup pour pouvoir mentir correctement. Enfin, c’est surtout Siméon que ça arrangerait, surtout lors de vos visites impromptues, car je ne finis toujours pas lâcher quelque chose que je ne devrais pas. Bref tout ça pour vos dires que je ne dirais rien alors vous pouvez faire demi-tour. 186Please respect copyright.PENANAsCLUzRzLZW
186Please respect copyright.PENANA4GQ92dLJfF
-Hors de question, je tiens vraiment à le voir alors je resterais ici jusqu’à ce que vous crachiez le morceau.
Il pousse légèrement la veste bien pliée sur le bord du comptoir pour me faire comprendre qu’il ne cédera pas, mais il est tombé sur plus têtu que lui. Wilfried prend la veste et m’ouvre la porte pour que nous nous en allions. J’avance effectivement vers celle-ci, mais plutôt que de sortir et de laisser ce pauvre tailleur tranquille, je m’assois sur la chaise juste à côté. Je suis prêt à attendre très longtemps pour avoir ce que je souhaite. Pour patienter, je lis un livre que j’ai toujours sur moi, justement pour ce genre de situation. Albert ne nous prête pas une grande attention, il range ses tissus, tris son matériel de couture, nettoie le comptoir, accueille les quelques clients qui passent...
Le temps commence à se faire long et j’arrive sur les dernières pages. La clochette accrochée à la porte tinte et une voix grave et rauque salue le tailleur chaleureusement. Celui-ci nous pointe du doigt pour indiquer notre présence au nouvel arrivant. Il se tourne vers nous et j’aperçois enfin sa petite moustache brune. Il lui tend les rouleaux de tissus qu’il a dû aller acheter à la mercerie à l’autre bout de la ville avant de venir face à moi. Il expire bruyamment avant de nous demander ce que nous faisons ici.
-Bien, si vous voulez discuter, autant aller dans l’arrière-boutique. Propose le commissaire tout en soufflant. Ça ne te dérange pas Albert ?
Ce dernier fait signe que non et nous le suivons jusqu’à une petite pièce mal rangé. En réalité, ce sont les nombreux rouleaux de tissu et les mannequins qui font qu’on s’y sent à l’étroit, en rageant un peu, elle pourrait être plus spacieuse. Une fois que nous sommes tous les deux assis l’un en face de l’autre, j’entame la discussion.
-Que pouvez-vous me dire sur l’affaire de la vente aux enchères ?
-Je ne suis pas censé dévoiler des informations aussi confidentiel jeune homme.
-Je vous rappelle que c’est grâce à moi que vous avez pu interrompre le trafic. JE vous ai prévenu et JE vous ai guidé jusqu’au lieu de la vente.
Il grommelle quelque chose dans sa moustache. Bien que je n’ai pas entendu un seul des mots qu’il a prononcé, je devine assez aisément qu’il me maudit d’avoir raison et de le lui re claquer à la figure. Il sait que je ne lâcherais pas l’affaire et il ne va certainement pas perdre inutilement son temps avec un pseudo-enquêteur comme moi.
-Je sais très bien que vous ne souhaitez pas tous les détails alors je vais directement vous dire ce que vous voulez entendre : non, d’après ce que nous avons pu trouver dans leurs locaux et selon la version des témoins, aucun enfant n’a été impliqué dans cette histoire. Juste des femmes et des œuvres. Alors abandonnez l’idée que cela ait un lien avec les enlèvements.
-En êtes-vous bien sûr ? Comment savez-vous que c’est une vérité ?
-Cela me semble pourtant logique. À partir du moment où tous nos témoins raconte la même histoire, il ne peut s'agir que d'une vérité. Vous-même, vous le savez alors ne jouez pas les idiots. Depuis le départ, vous étiez au courant qu'il n'y avait aucun rapport avec les enlèvements d'enfants.
Je ne rétorque rien, bien que mon silence lui donne raison. J'espérais fortement que tout ceci est un rapport avec cette ancienne affaire toujours non résolue. Il s'agit du plus grand mystère de tout Paris depuis au moins quinze ans et il serait plus que tant de lever l'affaire. Mais personne n'y arrive, pas même moi. Le commissaire Lefèvre doit avoir aperçu mon mécontentement puisqu'il reprend un ton plus posé avant de m'inviter à sortir prendre un café.
Sur le trajet, il me parle de diverses affaires qui ont eu lieu dans la semaine. Il pense sûrement pouvoir me divertir, mais mon esprit ne peut se dépêtrer du mystère qui entoure ces enfants. Je suis devenu obsédé par cette histoire et Elric ne se gêne pas pour me le faire remarquer. Fut un temps où je ne travaillais que sur cette affaire voulant à tout prix les sauver et surtout venir en aide au commissaire qui m'a, il y a quelques années, soutenu dans une période compliqué. M. Lefèvre n'a aucune idée de mon véritable métier. Pour lui, me mêler de ses affaires et résoudre quelques crimes en « concurrence » avec le commissariat ne sont qu'une occupation. Bien que ce ne soit pas fort légal d'enquêter sans autorisation, je n'ai jamais eu de problème grâce à ma relation avec le commissaire générale.
Le bistrot dans lequel il nous a emmené et barder de monde et l'on entends les hommes venues pour se reposer beugler dans toute la rue. Je ne dirais pas qu'il ait mal fréquenté, mais disons que ce n'est pas le genre de bar dans lequel j'ai l'habitude de me rendre. Le gérant a installé des tonneaux sur le trottoir pour remplacer les tables qu'il ne doit pas avoir les moyens de se procurer. Ceux-ci sont abîmés par l'ancienne liqueur qu'il contenait et pas le transport plus que brutale qu'il a dû subir. Nous entrons et c'est tout aussi bruyant qu'à l'extérieur. L'avantage de tout ce raffut est que personne n'entendra une bribe de notre conversation. Siméon Lefèvre s'installe à la seule table libre et mal nettoyé. Le dégoût monte en moi, mais heureusement, Wilfried, qui a bien compris que l'hygiène du bistrot ne me plaît guère, essuie la table avec un mouchoir offrant quelque chose de plus convenable. J'envoie Wilfried chercher nos boissons au comptoir et le commissaire en profite pour me réprimander. Il m'a déjà sorti plus d'une fois sa leçon sur mes ambitions, mais je dois avouer que je ne l'ai jamais vraiment écouté. Je connais son discours par cœur, si bien que je le récite dans ma tête en même temps qu'il le débite. Mais je ne peux me plier à sa volonté d'abandonner. Pour lui, je sais qu'il est important qu'il se concentre sur autre chose pour qu'il puisse se reconstruire. Hélas, l'avoir trouvé un soir dans un état pitoyable, après la disparition de sa fille qu'il chérissait temps m'a rempli d'une haine sans égale envers l'auteur du crime. Mon ami est persuadé qu'elle est décédée, quant à moi, je ne cherche qu'à la retrouver pour soigner les plaies qui sont encrées.
Wilfried est vite de retour avec mon café et à peine, l'a-t-il posé sur la table que j'en bois une gorgée. Le liquide me brûle la gorge laissant une sensation peu agréable derrière elle. La saveur amère que j'apprécie tant et encore plus prononcé que d'habitude, mais n'est pas dérangeant. Le commissaire claque des doigts pour me rappeler à l'ordre.
-Vous n'écoutiez pas un mot de ce que je vous raconte, n'est-ce pas ?
-Ce n'est pas de ma faute si vous radotez mon ami. Combien de fois ces quatre dernières années m'avez-vous répété de ne pas intervenir dans des enquêtes policières ? De ne pas me mettre en danger ? D'abandonner tout simplement ? Ne pourriez-vous pas me sortir quelque chose de positif pour une fois ?
Un nouveau grommellement passe la barrière de ses lèvres. Il n'aime pas ce genre de petites remarques piquantes que je fais. Pourtant, je ne peux pas m'en empêcher, c'est plus fort que moi. La satisfaction de voir ses sourcils se froncer et sa moustache se trémousser en même temps qu'il baragouine prends le dessus. Finalement, il change de sujet de conversation est part sur une discussion plus anodine en me demandant comment je me porte et si j'avance bien dans mon travail. Il a toujours été un peu inquiet me concernant et s'assure dès que possible que tout va pour le mieux. Ce n'est pas un mauvais bougre et je dois admettre que je passe un bon moment en sa compagnie. Puis, il commence à me raconter les dernières gaucheries de son frère. Comme à son habitude, il en a encore trop dit sur l'anniversaire de leur mère à la principale concernée. Le commissaire lui a immédiatement remonté les bretelles pour avoir gâché la surprise, mais, comme pratiquement, à chaque fois, ils en ont bien ri.
Après trois bières pour lui, un verre d'eau pour Wilfried et deux cafés pour moi, nous retournons jusqu'à la boutique du tailleur où nous nous disons au revoir. Je lui demande de souhaiter un bon anniversaire à sa mère de ma part. Je m'en voudrais de ne pas le faire. Elle qui m'a préparé le repas plus d'une fois, et même gardé sous son toit. Je serais honteux d'omettre de lui transmettre mes vœux les plus sincères.
En entrant dans le manoir, je le trouve étrangement calme. Habituellement, Charles embête Ruben et celui-ci ronchonne en laissant échapper quelques insultes et c'est à ce moment qu'Oscar les reprend. Mais je ne vais pas me plaindre, c'est plaisant un peu de repos. En montant, pour aller à mon bureau, je ne croise pas Mlle. Gauthier non plus. Peut-être dort elle encore après les jours éprouvant qu'elle a pu vivre ? C'est vrai que nous sommes rentrés assez tard, hier et ces agresseurs n'ont pas dû les loger confortablement. Elle qui me haïssait de tout son cœur avant d'arriver ici, je suppose qu'elle me torturerait avant de m'assassiner si elle en avait l'occasion. Bien qu'hier, elle ne l'a pas montré à cause du choc et de la fatigue, je sais qu'elle me voit comme un ennemi.
Je regarde les lettres que Wilfried a récupérées dans la boite aux lettres. Parmi elles, se trouve une lettre de mon père. J'hésite à l'ouvrir. De toute façon, je ne les finis jamais. Non seulement ce qu'il peut dire ne m'intéresse pas, mais en plus, il s'agit toujours des mêmes calomnies. J'arrache quand même l'enveloppe et en lis les premières phrases en même temps que de monter l'escalier :
« Mon Cher Fils »
Rien que ces mots me dégoûtent. Ils me rappellent le lien qui nous unit et que je maudis. De surcroît, je suis sûr qu'il ne les pense même pas.
« Voici la énième lettre que je t'écris depuis ton départ et à laquelle tu ne répondras pas. Je souhaiterais sincèrement m'entretenir avec toi. Et n'ignore pas cette demande, car je sais que tu lis toutes mes lettres. Ta curiosité surpasse ton indifférence. Comme tu dois le deviner, c'est au sujet de ton grand-père. Ce malotru... »
Je coupe ma lecture ici. Je ne veux pas l’entendre insulter un homme aussi bon que mon grand-père. Comment ose-t-il manquer de respect envers un homme aussi gentil que lui ? Je chiffonne cette ode à la profanation et je la jetterais dans la première corbeille venue. En ouvrant la porte du bureau, un courant d’air me fait frissonner. J’ai dû oublier de fermer la fenêtre avant de partir. Je vais au fond de la pièce pour la clore, mais je me stoppe aussitôt. Dans le jardin, j’aperçois Mlle Gauthier se battre avec les jumeaux. Charles, qu’as-tu encore fait ? À tous les coups, il a dû lui lancer un compliment absurde ou placer sa main là où il ne fallait pas. Il est insupportable. Heureusement que Mlle Gautier est la première et sûrement la dernière femme que j’amène ici. La mauvaise habitude de Charles à s’amuser avec les femmes nous a déjà coûtés cher. Un jour, alors que nous étions en pleine mission dans l’Est de la France, il a eu l’excellente idée de flirter avec la meilleure amie de la femme à qui il avait fait des avances la veille. Bien sûr, il n’avait aucune idée du lien qui les unissait et il ne s’était pas renseigné non plus sur leur relation maritale. Nous nous sommes rapidement fait remarqués lorsqu’une dispute entre les deux femmes a éclaté et que Charles se tenait entre elles. J’étais si énervé contre lui que je l’ai mis à la porte pendant plusieurs jours qu’il a passés, on ne sait où. Le pire, c’est qu’il m’a confié en revenant ne pas être intéressé par ces femmes, qui elles, se jettent à ses pieds. Il profite de son charme naturel pour toutes les avoir sans les vouloir.
Je m’apprête à leur crier d’arrêter leurs enfantillages, mais quelque chose cloche. Mlle Gauthier rate sa tentative de mettre Charles à terre et ce dernier la plaque au sol. Puis il l’aide à la relever et Oscar lui lance des encouragements. Je vois. Ils sont en train de lui apprendre les arts martiaux et le combat rapproché. Je ne sais pas où elle a pu trouver une telle motivation pour s’entraîner avec eux après tout ce qu’elle s’est pris la veille. Les coups qu’elle s’est pris doivent lui avoir laissé des bleu et des courbatures drôlement douloureuse. Elle fait preuve d’une grande détermination. Ensuite, Oscar et Charles reproduisent la prise loupée un peu plus tôt en expliquant bien chaque étape. Finalement, elle pourra peut-être se montrer utile. Je pourrais même me servir d’elle une nouvelle fois dans une prochaine mission.
186Please respect copyright.PENANAWslWtGLz2U