- Oh non ! S'écria-t-elle.
Du port, elle courut vers l'embarcation où s'était regroupé l’équipage qui évaluait déjà les dégâts causés. Elle découvrit, avec désarroi, que la coque de leur navire avait été sérieusement endommagée.
Sur le quai d’amarrage, Engre était engagé dans une furieuse conversation avec le capitaine du navire en tort. Il se détourna ensuite de son interlocuteur après un long moment, puis, semblant rechercher quelqu’un des yeux, il repéra enfin Atenis qu’il rejoignit en grandes enjambées et confirma la suspicion de la jeune femme.
- Un bateau vient de nous heurter pendant sa manœuvre de mouillage ! Heureusement pour nous, nous avons eu moins de dégâts que l'autre navire, mais il y aura quand même des réparations à faire avant de reprendre la mer.
Il se retourna pour jeter un regard noir de loin au capitaine de l’autre vaisseau et poursuivit :
- Cet hurluberlu est arrivé à une trop grande vitesse et c’est la coque avant de son bateau qui a subi le plus fort des dommages à cause de son impact avec le quai... Je dois en parler au capitaine tout de suite. Trouve ton père Atenis, finit-il par conclure en la regardant.
- Non mais j'aurais dû rester à la maison, marmonna-t-elle avant de se mettre en quête de son père.
Elle n'aurait même pas le temps de visiter cette ville avec ces travaux imprévus, bon sang ! C'était encore moins amusant qu'elle ne se l'était imaginé, fulmina-t-elle.
Se mettant en quête du capitaine, Aténis s'éloigna bientôt du port et ses pas la dirigèrent vers une place animée décorée d'une fontaine centrale. L'établissement du client était censé être facilement repérable mais, malgré l'urgence de la situation, Atenis fut absorbée par la vue qui s'offrait à elle. Elle s'était imaginé que la ville ne se limitait qu'aux quartiers environnant le port, mais ce n'était en fait qu'une partie de la cité. En effet, elle avait dépassé quelques commerces et habitations sans qu'elle n'en soit consciente pour suivre la rue principale et s'était rapidement retrouvée dans une plaine verdoyante. Une route rocailleuse supportait le va-et-vient incessant de centaines de personnes et en suivant des yeux leurs provenances, Atenis constata que la grande plaine s'arrêtait aux abords d'une montagne rocheuse tandis que la route continuait à serpenter à travers le géant de pierre pour se perdre dans son sommet. Là, un autre spectacle s'offrait à elle, elle pouvait discerner les toits de multiples habitations et des tours se découper à contre-jour ; il s'agissait de la grande cité de Bourqua. Cependant, vue d'en bas, la cité donnait une impression oppressante et effrayante. Bon. À l'évidence l'établissement du client n'était pas dans cette direction, cependant elle avait réellement envie de visiter Bourqua. Elle pouvait très bien jeter un coup d'œil et revenir chercher son père après. C'était de sa faute, de toutes les façons, si elle ne pouvait pas visiter cette contrée, de sa faute si elle ne pouvait pas, non plus, visiter les grottes de l'alliance et de sa faute s'il s'était éclipsé au lieu de rester près du bateau ! D'ailleurs, elle était persuadée que traiter avec le client consistait à siroter une liqueur du coin ! Satisfaite de son résonnement qu'elle savait totalement bancal, Atenis emprunta la route rocailleuse avec un petit sourire aux lèvres, tout en observant la cité. Sa silhouette lui paraissait sombre et inquiétante de loin, mais au fur et à mesure qu'Atenis s'en approchait, les reflets rouge et ocre du mur de limitation de la ville s'éclaircissaient et elle pouvait apercevoir le marbre des statues - deux femmes tenant une torche à la main - de part et d'autre de la grande porte d’entrée, rayonner de sa blancheur sous le soleil incandescent.
S'insérant dans la foule pour pénétrer dans la ville, Atenis s'émerveilla du fourmillement de la cité et de la masse humaine qui se concentrait dans ce même lieu, comment pouvait-on s'y retrouver ? Tout le monde allait dans un sens ou dans un autre, l'agitation et la cacophonie qui y régnaient finirent par enchanter la jeune femme. Elle était bien loin de sa paisible île natale où le nombre d’habitants était bien en deçà de celui de Bourqua, pensa-t-elle. Mais tout cela était bien logique si on prenait en compte que la ville était un point de croisement important pour les voyageurs et les marchands grâce à son port. Admirative devant la prestance des gardes de la porte de la cité, Atenis entreprit d'emprunter la grande rue principale bondée qui semblait s’étendre à l’horizon. Elle n’avait, bien entendu, pas le temps de visiter toute la ville et elle décida donc de faire quelques pas pour jeter un coup d’œil sur quelques commerces avant de rejoindre son père. Elle arborerait, par la suite, une fausse expression d’incompréhension à son retour pour donner l’impression qu’elle l’avait recherché, mais en vain, manigança-t-elle intérieurement avec un sourire en coin. Toute à sa stratégie et à sa contemplation, elle ne se rendit pas compte qu’un homme la suivait discrètement et, lorsqu’il fut assez près, la heurta violemment pour lui voler sa bourse avant de s'enfuir en courant. Elle tomba à terre, mais se releva juste à temps pour voir le voleur s'engouffrer dans une ruelle à sa droite.
- Au voleur ! Cria-t-elle à pleins poumons.
Cependant, personne ne vint à son secours. Elle dut le prendre en chasse elle-même, déchantant par la même occasion sur la parfaite ville qu’elle avait imaginée. Elle avait pu constater que l'homme était grand et assez large d'épaules et elle ne savait pas trop comment elle allait récupérer son argent, mais elle trouverait sûrement une solution plus tard. L’importance était surtout de ne pas perdre de vue le voleur, elle pourrait, par la suite, le dénoncer aux gardes. Elle tourna dans la ruelle pavée et sombre à cause des hautes habitations filtrant les rayons du soleil et le vit descendre des escaliers en bousculant des passants devant lui. Il vira à gauche subitement, continua de courir jusqu'à une porte où il s'y introduisit. Arrivée à cette hauteur, Aténis l'ouvrit à son tour à grande volée pour découvrir un couloir en granit s'achevant abruptement à quelques pas d'elle. Un pont vacillant prenait ensuite le relais pour atteindre une galerie identique sur l'autre versant et Atenis frissonna en constatant le grand vide présent sous le pont. Elle avait une vue plongeante sur les tréfonds de cet étrange ravin et remarqua qu'en bas, d'autres ponts de la sorte avaient été fabriqués, donnant une impression de fils emmêlés vus d'en haut. Malgré l'obscurité ambiante, Aténis s'engagea prudemment tout en tentant d'apercevoir ce qu'il y avait au fond du vide... Rien justement, le néant. C'était bien ce qui l'inquiétait, elle n’apercevait pas le fond. Ce n'était pas le moment d'avoir des vertiges ! Elle arriva au bout du pont et s'engouffra dans la galerie en granit où des gouttes d'eau suintaient du plafond de pierre. Le passage était éclairé par des torches fixées aux murs et au fur et à mesure qu'elle progressait, elle découvrit des habitations creusées à même la roche. En effet, plus on s'enfonçait dans les profondeurs de la cité de Bourqua, plus la montagne de granit reprenait ses droits. Des discussions et des rires se faisaient entendre des habitations troglodytes qu'elle croisait de part et d’autre du couloir et des odeurs de souper se dégageaient des orifices couverts de toiles. Atenis déboucha enfin de la galerie pour se retrouver dans une immense cave circulaire en terre battue. Elle découvrit avec étonnement à quel point les habitants de Bourqua s'étaient adaptés à cet environnement hostile jusqu'à y construire un véritable petit village à l'intérieur de la montagne. Des poutres en bois et des seaux de chaux étaient parsemés ici et là sur le sol tandis que des pierres, extraites des cavités rocheuses, témoignaient de la construction frénétique d'habitations troglodytes. Des hommes et des femmes s’activaient à transporter du matériel d’un bout à l’autre de la caverne tandis que des sons de marteaux et d’outils de construction terminaient de confirmer l’état de chantier de ce futur village. Tout en circulant parmi les ouvriers affairés, Atenis avisa un petit groupe hommes, à l’écart du tumulte et aux allures sinistres à sa gauche, se quereller à propos d'un objet. Ce village, bien qu'il fut très fréquenté, fit frissonner la jeune femme car elle se rendit compte que ces bas-fonds étaient côtoyés par des voleurs et des bandits. Ne voulant pas s'attarder plus que nécessaire, elle traversa le village en construction et atteignit un couloir où elle s'engouffra de nouveau, toujours à la poursuite de son voleur. Des cris d'enfants et des conversations d'adultes résonnaient dans les galeries tandis qu'une odeur se prononçait de pas en pas, confirmant son intuition initiale ; ces gens s'étaient réfugiés au-dessus des évacuations des eaux usées de la cité. Cette chaleur et cette humidité ambiante donnaient à Aténis un sentiment d'étouffement et elle ne parvenait pas à comprendre comment on pouvait s'habituer à un tel lieu. Trop occupée à observer les habitants, elle ne se rendit pas compte que le couloir devenait de plus en plus étroit et qu'il s'enfonçait encore plus profondément dans la montagne. Et les passages qu'elle emprunta successivement, la perdirent bientôt.
Elle aurait pu demander son chemin, mais elle préférait jouer la carte de la prudence, car elle ne savait pas sur quel individu elle pouvait tomber et si elle pouvait obtenir de l'aide en cas de besoin. Non, elle allait continuer de faire semblant d'être du coin. Elle évoluait encore dans ce dédale de pierre lorsqu'elle aperçut enfin son voleur entouré d'autres hommes à une intersection de galeries en pleine conversation. Que devait-elle faire ? Pensa-t-elle. Avec tout ce monde, elle n'allait tout de même pas exiger qu'il lui rendre son bien, il l’attaquerait sans aucun doute. Il fallait qu’elle découvre où était son repaire afin qu’elle puisse le signaler aux autorités. Aussi entreprit-elle d'attendre, plaquée contre un mur afin de ne pas être remarquée, qu'il ait terminé sa conversation pour le suivre discrètement, ce qui ne tarda pas d'ailleurs. Il s'engouffrait déjà dans un tunnel, mais emprunta tant et si bien plusieurs chemins, qu'Atenis le perdit à nouveau. C'était un vrai gruyère ! Soudain, une pensée la traversa. Et si elle ne pouvait plus jamais ressortir d'ici ? Un frisson parcourut son échine à cette pensée. Elle se remit alors à marcher de plus belle tandis que ses pas résonnaient étrangement sur la paroi humide et que son champ de vision se rétrécissait à mesure que les torches se raréfiaient. Mais lorsqu'elle se rendit compte qu'un silence de mort l'enveloppait réellement, elle sut qu'elle ne croiserait plus personne. Là, elle décrocha une torche du mur au cas où elle serait complètement dans le noir sans savoir que c'était la dernière qu'elle rencontrerait sur son chemin. Dans une énième tentative, elle voulut rebrousser chemin mais se perdit encore une fois. Ainsi, elle était bel et bien seule. Prise de panique, elle cria au noir :
- À l'aide ! Aidez-moi s'il vous plaît !
Mais personne ne lui répondit. Elle s'arrêta alors à un croisement de chemin et s'exhorta au calme.
- Allez, pas de panique, se réconforta-t-elle. Tu t'es sortie de situation bien pire, fais confiance à ton instinct.
Elle se concentra en fermant les yeux et la réponse lui apparut subitement. Le tunnel à sa droite était le bon pour sortir et, bien qu'il la plongeât dans les ténèbres, elle se devait de suivre son instinct. Il ne l'avait jamais trompé jusqu'alors. Quelquefois, elle se demandait même si elle n'avait pas un sixième sens car il s'était toujours révélé exact, même si elle ne le suivait pas toujours. Cependant, à cet instant précis, elle n'avait que ce recours pour se sortir de ce pétrin. Elle s’engagea donc dans ledit couloir avec détermination, mais trébucha soudainement sur un objet au sol. Ce fut en abaissant sa torche qu’elle fit l’horrible découverte qu'elle avait butée sur un squelette humain. Mon Dieu ! S'exclama-t-elle intérieurement, allait-elle finir comme ça ?
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