Pendant ce temps, Ejas avait déjà donné l'ordre à des soldats d'emmener Atenis et les deux autres amies les suivirent aussi chez le guérisseur. Elles étaient inquiètes de l'état de la jeune femme, elles espéraient que ce n'était pas très grave. Fenhara était au bord des larmes. La possibilité que l'une d'entre elles puisse être blessée ne lui avait jamais réellement traversé l'esprit, ce n'était pas une probabilité qu'elle avait envisagée et elle percevait parfaitement l’étrangeté de cette idée au vu des péripéties qu'elles avaient rencontrées jusqu'ici. Ce n’était que maintenant qu'elle réalisait tout à coup le sérieux de leur situation. La présence d'Atenis et Tulia lui avaient fait vivre cette aventure avec un peu plus de légèreté malgré la dangerosité extrême de certaines situations vécues et c'était bien grâce à cela qu'elle avait pu tenir sans céder à la crise de nerf ou abandonner tout espoir. Tant que ses compagnes étaient avec elle, quels que soient les obstacles, elle était prête à avancer et devenait de plus en plus téméraire. En si peu de temps, Fenhara avait constaté qu'elle avait beaucoup changé. Les expériences qu'elle avait vécues la rendaient plus hardie, plus entreprenante et la jeune femme d'avant, timorée et choyée par sa mère disparaissait de plus en plus. Mais elle se transformait petit à petit grâce à Tulia et Atenis. En leur présence, elle se sentait... En sécurité. Et voir Atenis dans cet état, c'était voir un mur de protection qui s'effondrait et qui la ramenait à une sévère réalité. Une réalité où des hommes et des femmes pouvaient mourir. Elles avaient rencontré toute sorte de danger jusqu’ici et avaient pu s'en sortir sans trop de blessures, mais c'était dans cette communauté qui était censée les accueillir qu'elles finissaient par réellement risquer leurs vies ! Quelle était cette absurdité ?? Elle se rendait compte aussi que ses deux amies l'avaient toujours protégée. Elles auraient, en effet, très bien pu l'abandonner dans la forêt de Bourqua à tout moment, elles auraient aussi pu la livrer aux assaillants, la dérober... Mais elles étaient restées près d'elle. Elle n'aurait jamais survécu sans Atenis et Tulia, et c'était ça la réalité. Son cœur était déchiré, c'était à cause d'elle que ses amies se retrouvaient ici maltraitées et à subir toutes ces péripéties...
- Eh. Elle va s'en sortir, elle est bien trop tenace pour trépasser par ce genre d'attaque.
C'était la voix de Tulia qui la ramenait de ses pensées. Ses yeux gris étaient posés sur son visage et le ton calme qu'elle avait utilisé pour la rassurer réussit à lui faire couler les larmes qu'elle avait déjà aux bords des yeux. Elle ne pleurait pas parce qu'elle culpabilisait maintenant, elle pleurait parce qu'elle se sentait rassurée, encore une fois, par Tulia. Cette dernière lui passa un bras sur les épaules et elles continuèrent silencieusement à suivre la petite troupe vers le guérisseur. Ils empruntèrent les couloirs cylindrés avant d'atteindre une porte coulissante qui s'ouvrit à leurs arrivées. Ejas, qui avait pris la tête de la petite troupe, s'introduit dans une salle immense compartimentée par des cloisons et dans lesquelles des lits propres étaient placés, mais sans aucun patient alité. Personne ne semblait être présent à l'exception d'un homme pourvu d'une chevelure grisonnante couvrant tout l'arrière de son crâne jusqu'au niveau de ses épaules tandis que le haut de sa tête souffrait d'une calvitie bien définie. Il portait une longue robe blanche qui s'accordait à la salle d'un blanc immaculé. Tout était en blanc, les sièges, les lits, les murs... Fenhara frissonna dans cet environnement impersonnel. Pour quelqu'un qui avait l'habitude d'agrémenter ses espaces de fleurs de toutes les couleurs, elle ne supportait pas le ton monochrome de cette salle. Cette dernière semblait destinée aux malades mais Fenhara se demanda si, avec ce décor, le rétablissement des malheureux était bien effectif.
Les soldats qui portaient Atenis sur une civière la posèrent délicatement sur l'un des lits disponibles avant de se retirer. Après s'être entretenu brièvement avec Ejas, l'homme grisonnant habillé de blanc s'approcha du lit d'Atenis d'un pas nonchalant. Il pencha son grand corps svelte vers la malade et ajusta une paire de binocles qui ne tenait que par son nez. Une barbichette fine et longue complétait le visage ridé du guérisseur, mais il gardait une certaine douceur grâce à un petit sourire qui ne semblait jamais vouloir s'éteindre. Il regarda Tulia et Fenhara par-dessus ses lunettes et les rassura :
- Ne vous inquiétez pas ce n'est pas très grave. Si le Second avait réellement été sérieux, elle ne serait pas juste évanouie, je vais la remettre sur pied rapidement.
Mais ce qu'il pensait être une parole réconfortante, assombrie encore plus l'humeur de Tulia qui n'avait pas desserré les dents depuis leur arrivée.
- Quand pourra-t-elle se réveiller ? Lui demanda-t-elle.
Le guérisseur ne lui répondit pas tout de suite car il était occupé à disposer un onguent sur le ventre d'Atenis et à lui faire boire une décoction. Il resta ensuite quelques secondes à sentir son pouls et répondit enfin à Tulia :
- Si je le souhaitais, elle pourrait se réveiller dès maintenant mais je préfère la laisser se reposer après ce choc car elle n'est pas habituée au combat. Mieux vaut que son corps s'adapte de lui-même pour une première fois...
- Il n'y aura pas de deuxième fois ! S'énerva Tulia avant de se détourner et de s'en aller en coup de vent, laissant le guérisseur et Ejas surpris par son mouvement d'humeur.
Fenhara, qui était au chevet d'Atenis, prit peur et se lança à la poursuite de Tulia. Dieu seul savait ce qu'elle allait déclencher avec sa colère, il fallait à tout prix la suivre pour empêcher tout éclat, se disait-elle.
- Tulia, que comptes-tu faire ?! S'inquiéta-t-elle, en l'arrêtant par le bras.
- Ça ne se voit pas ? Je vais trouver un moyen de sortir d'ici demain à la première lueur. Ne t'inquiète pas, je n'ai pas l'intention de provoquer le « Magnifique » si c'est ce que tu penses.
Fenhara soupira de soulagement avant de la relâcher mais s'inquiéta de nouveau :
- Partir à la première lueur demain ? Mais comment comptes-tu t'y prendre ?? L'enceinte de cette cité est complètement surveillée et nous n'avons pas encore reçu leur accord pour nous en aller !
- Il est hors de question de rester dans ce trou ! N'as-tu pas vu ce qu'il a fait à Atenis ?? Tu es d’accord avec ce qui lui arrive ??!
- Oui, je sais et moi aussi je suis inquiète pour Atenis, mais nous ne pouvons pas agir sans prendre de précaution... Que nous arrivera-t-il s'ils décidaient de ne pas nous garder en tant que leurs membres mais en tant que prisonnières ? Nous devons agir avec prudence, je ne veux pas vous voir blessées ! Paniqua Fenhara, les larmes réapparaissant aux yeux.
Sa main agrippait de nouveau le bras de Tulia et ses ongles s'enfonçaient dans sa chair, elle semblait être sur le bord de la crise de nerf. Aujourd'hui n'était pas un bon jour. Aujourd'hui, elles devaient rester ensemble.
Tulia observa un instant son amie qui la tenait fermement en tremblant, puis s'apaisa. Atenis n'était pas réveillée et Fenhara avait peur. Fenhara avait raison, elle ne pouvait pas se permettre d'agir sans réfléchir. Il fallait analyser la situation calmement et établir un plan d'action, mais celle qui semblait le mieux élaborer les stratégies était alitée. Il ne fallait pas encore précipiter les choses, néanmoins... Tulia planta ses yeux dans ceux de Fenhara sérieusement.
- C'est vrai, nous ne t'avons pas encore tout raconté de ce que nous a appris Ejas lors de notre balade de cette journée. Nous ne pouvons réellement pas rester pour notre propre sécurité, nous devons tenter de savoir s'il est réellement possible de nous en aller ou s'ils nous ont piégées. Nous devons nous éloigner de cette communauté coûte que coûte.
Et au fur et à mesure que Tulia révélait la situation critique dans laquelle la Communauté des Témérites se trouvait dorénavant à cause de la disparition de leur artefact, Fenhara baissait les yeux, de plus en plus découragée.
- Mais tu as raison, nous ne devons pas nous précipiter, surtout que l’une d’entre nous est alitée en ce moment. Nous allons attendre qu’Aténis se remette entièrement sur pied et nous demanderons à nous en aller par la suite. Nous verrons si les témérites tiennent leur parole et si nous pouvons réellement partir.
Fenhara hocha silencieusement la tête et lâcha enfin le bras de Tulia. Elle baissait toujours les yeux et se mit à marcher tristement. Tulia la suivit et eut mal au cœur de la voir aussi frêle et vulnérable. Cette aventure, qui avait commencé par leur rencontre totalement inattendue mais qui, au final, avait rapproché les trois jeunes femmes, prenait de plus en plus un tour tragique. Il devenait urgent d’y mettre un terme.
La journée avait été chargée d'émotion et ce fut peu de temps après qu’elles regagnèrent le foyer qui avait été préparé à leur intention dans une humeur maussade. Elles iraient récupérer Atenis le lendemain, mais pour le moment, elles avaient besoin de se reposer et, à peine arrivées, elles s'endormirent sans un mot dans leurs couches respectives.
26Please respect copyright.PENANAzi26fcNIuv