Ryven fixait le portail qui scintillait devant lui, ses bords vibrants d’une lumière argentée étrange et presque hypnotique. Chaque pulsation de lumière semblait se synchroniser avec les battements irréguliers de son cœur, amplifiant son appréhension. Cela faisait deux jours qu’il était seul ici, livré à lui-même dans cet environnement désolé et hostile.
Son regard glissa vers les traces éparses qu’il avait laissées sur le sol. Elles formaient des cercles et des zigzags désorganisés, vestiges de ses entraînements et de ses moments d’hésitation. Pendant ces deux jours, il avait tout fait pour repousser l’échéance. Il avait couru, il avait répété les exercices appris à l’académie, il avait médité, et il avait tenté, encore et encore, de manipuler son mana. Mais la vérité était qu’il avait peur. Peur de l’inconnu. Peur d’échouer. Peur de ne pas être à la hauteur.
— Allez, Ryven, murmura-t-il pour lui-même. Tu n’as pas traversé tout ça pour reculer maintenant.
Il serra les poings, se rappelant les paroles de Caelmar avant qu’il ne disparaisse dans un éclat de lumière. "Tu peux le faire. Fais-moi confiance." Mais comment pouvait-il avoir confiance en lui-même quand tout dans cet environnement semblait conçu pour le briser ?
Il posa une main tremblante sur le médaillon que sa tante et son oncle lui avaient donné. Ce simple objet, bien qu’inanimé, semblait être sa seule connexion à la réalité, un rappel qu’il n’était pas seul.
Prenant une grande inspiration, il fit un premier pas vers le portail. La lumière qui en émanait l’enveloppa d’une chaleur inattendue, douce et réconfortante. Cela n’atténuait pas complètement sa peur, mais cela suffisait pour qu’il avance un peu plus. Chaque pas semblait plus lourd que le précédent, comme si ses doutes tentaient de le retenir en arrière.
Enfin, il atteignit le cercle lumineux. La lumière scintillante formait des arabesques complexes, presque hypnotiques. Il tendit une main hésitante, sentant l’énergie crépiter contre sa peau.
— Tu peux le faire, Ryven, chuchota-t-il pour se donner du courage.
Il ferma les yeux et franchit le seuil.
L’impact fut immédiat. Une sensation de chute vertigineuse l’envahit alors que le monde autour de lui devenait un tourbillon de couleurs et de lumière. Son estomac se serra, et il sentit son équilibre vaciller malgré l’absence de gravité. Puis, aussi soudainement que cela avait commencé, tout s’arrêta.
Ryven émergea du portail dans un tourbillon de couleurs qui s’éteignit brusquement. Ses pieds heurtèrent un sol ferme, et l’air autour de lui changea immédiatement. Une bouffée de fraîcheur, emplie d’humidité et de parfums tropicaux, l’enveloppa, contrastant violemment avec la chaleur sèche et oppressante du terrain vague qu’il venait de quitter.
Il ouvrit les yeux, et la vue qui s’offrit à lui le laissa sans voix. Une vaste plage de sable blanc s’étendait devant lui, baignée par un océan d’un bleu turquoise qui scintillait sous un soleil éclatant. Les vagues roulaient doucement sur le rivage, leur bruit régulier créant une mélodie apaisante. L’eau semblait si limpide qu’il pouvait distinguer les coraux et les poissons multicolores nageant juste en dessous de la surface.
Ryven avança lentement, ses chaussures s’enfonçant légèrement dans le sable chaud. Chaque grain qui roulait sous ses pieds lui rappelait que tout cela était bien réel, malgré la beauté irréelle du paysage.
— On dirait un tableau, murmura-t-il, les yeux écarquillés.
Mais il se força rapidement à détacher son regard de l’océan. Derrière lui, une forêt dense se dressait, formant une muraille naturelle. Les arbres gigantesques, aux troncs épais recouverts de mousse, s’élevaient si haut qu’ils semblaient toucher le ciel. Leurs feuilles larges et leurs lianes retombaient en cascade, filtrant la lumière du soleil pour créer un jeu d’ombres et de lumières sur le sol jonché de fleurs tropicales éclatantes.
Les couleurs étaient à couper le souffle : des rouges profonds, des violets intenses, et des jaunes éclatants qui contrastaient avec le vert vif de la végétation. L’air était empli d’un mélange de parfums floraux enivrants et de l’odeur légèrement salée de l’océan.
Mais malgré la beauté de ce décor paradisiaque, une tension invisible pesait sur ses épaules. Ryven savait que les portails étaient des lieux trompeurs. Leur apparente tranquillité cachait souvent des dangers mortels.
Son estomac gronda, le ramenant brusquement à la réalité. Depuis combien de temps n’avait-il pas mangé ? La faim et la fatigue commençaient à se faire sentir, et il savait qu’il devait agir rapidement s’il voulait conserver ses forces.
Se dirigeant vers la forêt, il repéra rapidement des fruits suspendus aux branches basses. Les baies d’un bleu vif et les grappes dorées luisaient faiblement sous les rayons du soleil. Elles semblaient presque trop parfaites, comme si elles n’étaient pas naturelles. Mais Ryven n’avait pas le luxe de la prudence.
Il tendit la main vers une baie bleue, la détachant délicatement de sa branche. Ses doigts tremblèrent légèrement alors qu’il portait le fruit à ses lèvres.
— Si ça doit me tuer, autant que ce soit sucré, murmura-t-il avec une pointe d’humour nerveux.
Il croqua dans la baie, et une explosion de saveurs sucrées emplit sa bouche. Une chaleur douce se diffusa dans son corps, apaisant momentanément sa fatigue et sa faim. Il poussa un soupir de soulagement avant de cueillir quelques autres fruits qu’il glissa dans sa poche.
Mais alors qu’il savourait ce bref répit, un cri perçant brisa la tranquillité.
Un hurlement strident résonna à travers la forêt, faisant sursauter Ryven. Il leva les yeux, cherchant la source du bruit. Une silhouette sombre bondissait de branche en branche avec une agilité déconcertante. L’air se remplit rapidement de cris discordants, et une vague de tension monta dans l’atmosphère.
Un singe apparut soudainement, se perchant sur une branche basse à quelques mètres de Ryven. Sa posture était imposante, presque prédatrice, malgré sa taille relativement modeste. Son pelage brun foncé, marqué de rayures noires, luisait faiblement sous la lumière tamisée de la canopée. Ses yeux jaunes fixaient Ryven avec une intensité troublante, comme s’il le jaugeait.
Mais ce qui attirait le plus l’attention de Ryven, c’était les rabats de peau qui reliaient les bras et les jambes de la créature. Ces membranes, semblables à celles d’une chauve-souris, ondulaient doucement comme une cape portée par le vent. Elles donnaient au singe une allure presque surnaturelle, amplifiant son aura menaçante.
Deux autres singes capés apparurent rapidement, se déplaçant avec une coordination troublante. L’un d’eux poussa un cri guttural, une sorte de signal, et Ryven réalisa qu’il était leur cible. Son cœur s’accéléra.
— Non… pas maintenant… pas ici ! murmura-t-il en reculant instinctivement.
Le premier singe bondit sans prévenir, ses griffes acérées dirigées droit sur lui. Ryven leva les mains par réflexe, et une petite sphère lumineuse jaillit de ses paumes. La lumière vacillante aveugla temporairement la créature, qui poussa un cri de surprise avant de battre des bras pour se stabiliser.
Mais les deux autres singes ne furent pas aussi facilement intimidés. L’un d’eux lança une noix dure dans sa direction, manquant de peu sa tête. Ryven se baissa juste à temps, son cœur battant à tout rompre.
Il tourna les talons et s’élança à travers la forêt, ses jambes brûlant sous l’effort. Les branches griffaient ses bras et son visage, mais il ne ralentit pas. Les hurlements des singes résonnaient encore derrière lui, se rapprochant dangereusement.
— Allez, Ryven ! Continue de courir ! s’encouragea-t-il à voix haute, essayant de surmonter sa peur.
Il zigzagua entre les arbres, cherchant à semer ses poursuivants. Mais ces créatures étaient rapides, plus rapides que lui. Leur agilité leur permettait de bondir de branche en branche, réduisant rapidement la distance qui les séparait.
Essoufflé, les muscles en feu, Ryven déboucha enfin sur une clairière. Le rugissement d’une cascade attira immédiatement son attention, et il se précipita vers elle, espérant que l’eau pourrait lui offrir un répit ou un moyen de se cacher.
Il s’arrêta enfin au bord du bassin, le souffle court, ses jambes tremblantes. Derrière lui, les singes s’étaient arrêtés à la lisière de la clairière, leurs yeux jaunes brillants fixant Ryven avec une colère contenue. Apparemment, ils hésitaient à s’approcher davantage.
Essuyant la sueur qui perlait sur son front, Ryven tourna lentement la tête vers la cascade. Ce qu’il vit le laissa sans voix.
Ryven fixa la cascade majestueuse qui se jetait dans un bassin limpide entouré de rochers sombres. Mais ce n’était pas l’eau scintillante qui retenait son attention.
Une brume noire, dense et tourbillonnante, s’échappait de derrière la cascade. Elle flottait dans l’air comme une fumée vivante, dégageant une pulsation étrange qui semblait résonner directement avec son noyau de mana.
— C’est quoi, ça ? murmura-t-il, incapable de détourner les yeux.
Il s’avança prudemment, chaque pas amplifiant la résonance qu’il ressentait dans son corps. Traversant le rideau d’eau glacée, il découvrit une cavité sombre et étroite.
Au centre, un rocher noir brillait faiblement, entouré de cette brume inquiétante. Ryven sentit son cœur s’emballer, une chaleur étrange montant dans sa poitrine.
Il tendit une main hésitante et toucha la surface lisse de la pierre. Une onde de choc brutale le traversa, et la brume jaillit soudainement, l’enveloppant complètement. Il cria, mais le son se perdit dans l’obscurité.
La brume ne l’attaquait pas. Elle semblait se fondre en lui, pénétrant chaque fibre de son être. Une chaleur douce et rassurante envahit son corps, et il sentit son noyau de mana réagir.
Puis, il le sentit. Un second noyau se forma, stable et puissant, rayonnant d’une lumière chaude et réconfortante.
Quand la brume se dissipa, Ryven tomba à genoux, haletant. Il posa une main sur sa poitrine, sentant les deux noyaux pulser en harmonie.
— Deux noyaux… murmura-t-il, abasourdi.
Il se releva lentement, traversant la cascade une nouvelle fois pour émerger à l’air libre. Le reflet de son visage dans le bassin lui révéla des yeux brillants d’un éclat nouveau.
Quelque chose en lui avait changé.
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