Le terrain d’entraînement s’étendait à perte de vue sous un ciel terne. La lumière du jour semblait plus froide, presque effacée, comme si elle hésitait à se frayer un chemin à travers l’atmosphère lourde. Ryven, assis en tailleur près de sa tente, tentait une fois de plus de calmer les tempêtes qui tournaient en boucle dans son esprit.
Cela faisait des semaines que cette sensation étrange d’être surveillé l’habitait, une pression silencieuse, presque insaisissable, mais toujours présente. Rien ni personne ne semblait justifier cette inquiétude, et pourtant, elle était là, persistante, comme une ombre tapie dans un coin de son esprit.
Il ferma les yeux, cherchant à retrouver un semblant de paix intérieure. Mais au lieu du silence apaisant qu’il espérait, ses pensées revinrent inévitablement vers Lirina et Dalven.
Ryven inspira profondément, mais son esprit ne cessait de le ramener vers ses proches. Qu’auraient-ils pensé de lui s’ils savaient ce qu’il traversait ici ? Auraient-ils compris cette étrange énergie sombre qu’il portait désormais en lui ?
Il visualisa le visage sévère mais chaleureux de Lirina, toujours prête à le protéger, même contre lui-même, et l’expression calme de Dalven, son soutien indéfectible.
— Est-ce qu’ils seraient fiers… ou effrayés ? murmura-t-il pour lui-même.
Les responsabilités confiées par la famille royale, les attentes de Caelmar, et ses propres insécurités tournaient dans son esprit comme une spirale sans fin. Son cœur s’alourdissait à chaque question qu’il se posait.
Un frisson glacé parcourut soudain son échine. Une fois de plus, il sentit cette perturbation dans l’air. Ses yeux s’ouvrirent brusquement, cherchant la source de cette sensation.
Rien.
Les alentours étaient immobiles, silencieux, presque figés. Mais cette fois, le sentiment était plus fort, plus pesant.
« Cela fait des semaines que ça dure, » pensa-t-il, le souffle court.
Il se redressa lentement, le regard méfiant. Tout semblait si normal, et pourtant… cette pression invisible ne pouvait pas être une illusion.
Ryven finit par rejoindre Caelmar près du feu de camp. Le chasseur de rang S, toujours calme et imposant, était en train d’affûter une lame imposante, le cliquetis régulier du métal contre la pierre créant un rythme apaisant.
Le regard perçant de Caelmar se posa immédiatement sur Ryven lorsqu’il s’approcha.
— Tu as l’air d’un homme traqué, lança-t-il d’un ton moqueur, mais avec une pointe de curiosité.
Ryven haussa les épaules, s’asseyant près des flammes sans répondre immédiatement.
— Caelmar… est-ce que toi aussi… tu as déjà eu peur de toi-même ? demanda-t-il finalement, sa voix à peine audible.
Le sourire du chasseur disparut aussitôt. Il posa sa lame sur le sol et observa longuement Ryven, comme s’il pesait soigneusement ses mots.
— Chaque éveillé qui touche à quelque chose de plus grand que lui ressent cette peur, répondit-il enfin, son ton grave. Mais la peur n’est pas un ennemi. Elle est une boussole. Elle te montre où se trouvent tes failles, et ce que tu dois surmonter.
Ryven baissa les yeux, serrant ses poings sur ses genoux.
— Et si mes failles sont trop grandes ? murmura-t-il.
Caelmar plissa légèrement les yeux, ses traits se durcissant.
— Alors elles te briseront, dit-il. Mais si tu survis, tu seras plus fort qu’avant.
Il se redressa légèrement, fixant les flammes avec une intensité nouvelle.
— Mon feu, continua-t-il, est l’un des plus puissants de ce royaume, juste derrière ceux des éveillés de rang Z. Mais tu sais ce que ça signifie ?
Ryven hocha négativement la tête.
— Ça signifie un contrôle constant, expliqua Caelmar. Quand j’étais jeune, ce feu a failli me consommer. Il m’a presque détruit. Mais c’est en acceptant cette peur, en la regardant en face, que j’ai appris à le maîtriser.
Il tourna son regard vers Ryven, son expression adoucie.
— Tu es peut-être différent, Ryven, mais tu n’es pas seul dans cette lutte.
Il se leva soudain, attrapant un artefact brillant qu’il portait à sa ceinture.
— Et aujourd’hui, tu vas affronter cette peur d’une manière plus directe.
Caelmar guida Ryven jusqu’à un endroit dégagé, où il plaça un miroir ancien sur un socle de pierre. Ses bords étaient ornés de runes scintillantes, pulsant doucement dans l’obscurité naissante.
— C’est un miroir d’âme, expliqua Caelmar. Il reflète ce que tu es vraiment, pas ce que les autres voient.
Ryven le dévisagea, méfiant.
— Et si je n’aime pas ce que je vois ?
— Alors tu devras l’accepter, répondit Caelmar, les bras croisés. Ce que tu verras ici viendra de toi, Ryven. Pas de moi, ni de quiconque.
L’idée même de se confronter à ses propres vérités fit frissonner Ryven. Mais il prit une profonde inspiration et posa sa main sur la surface froide du miroir.
Une force invisible l’aspira brusquement, et il se retrouva dans un monde abstrait, où des fragments de lumière et d’ombre tourbillonnaient autour de lui.
Soudain, deux figures émergèrent du néant.
La première était lumineuse, rayonnante, presque aveuglante.
— Je suis ce que tu veux être, déclara la figure. Ta force, ton espoir, ton désir de protéger.
La seconde était sombre, dense, et dégageait une aura écrasante.
— Et moi, je suis ce que tu refuses de reconnaître. Ta peur, ta colère, ton instinct de survie.
Les deux versions s’approchèrent lentement, encadrant Ryven.
— Pourquoi cherches-tu à nier ce que tu es ? demanda la lumière.
— Crois-tu vraiment pouvoir être à la fois lumière et ombre sans te briser ? ajouta l’ombre.
Ryven sentit son souffle se couper.
— Je ne sais pas… murmura-t-il, dépassé par l’intensité de la confrontation.
Les deux figures continuèrent de parler, leurs voix devenant de plus en plus fortes, se chevauchant dans un chaos assourdissant. Ryven, accablé, tomba à genoux.
Les deux versions de lui semblaient sur le point de fusionner, leur énergie tourbillonnant autour de lui, prête à l’engloutir.
Alors que la pression devenait insupportable, une phrase résonna dans son esprit, claire et apaisante :
— La peur n’est pas un ennemi. Elle est une boussole.
Les paroles de Caelmar lui donnèrent une force inattendue. Il releva la tête, son regard empli de détermination.
— Vous êtes moi, murmura-t-il. Et je suis vous.
Il tendit les bras, acceptant à la fois la lumière et l’ombre.
Les deux énergies s’élancèrent vers lui, fusionnant en une explosion éclatante. L’univers autour de lui sembla trembler, mais il resta debout, son corps entouré d’une aura mêlant lumière douce et ombre dense.
Il se réveilla soudain devant le miroir, haletant, les muscles tendus et tremblants.
Caelmar, qui l’attendait, sourit légèrement.
— Je pensais que ça allait me briser, murmura Ryven.
— Et pourtant, tu es toujours debout, répondit Caelmar. Ce n’est ni la lumière ni l’ombre qui te définissent, Ryven, mais ce que tu choisis d’en faire.
Ryven hocha la tête, ses pensées encore embrouillées. Alors qu’il retournait à sa tente, il remarqua une silhouette enflammée dans le miroir. Mais lorsqu’il se retourna, il ne vit rien.
Plus tard dans la nuit, alors qu’il méditait, une étrange perturbation envahit son esprit. Ses deux noyaux semblaient se rapprocher, fusionnant lentement.
Caelmar, alerté par une perturbation dans le mana environnant, sortit de sa tente. Il vit Ryven en lévitation, entouré d’une aura mêlant lumière et ombre se refermant petit à petit sur lui.
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