Le continent d’Eryndor, vaste et fragmenté, portait encore les cicatrices de la Grande Guerre. Pendant des décennies, humains, elfes, nains et amphibiens s’étaient entre-déchirés, alimentant un conflit alimenté par les tensions raciales et les rivalités entre les éveillés les plus puissants. Les batailles avaient ravagé les terres, détruisant des cités entières et transformant l’extrême est du continent en une zone de ruines inhabitées.
C’est au cœur de cette destruction qu’avaient surgi les premiers portails. Ces ouvertures dimensionnelles, pleines de richesses, mais aussi de dangers, avaient bouleversé les équilibres précaires. Ce fut une menace commune, celle des brèches qui libéraient des hordes de monstres, qui poussa les quatre races à conclure un pacte fragile.
Depuis la fin de la guerre, 326 années s’étaient écoulées. Les royaumes prospéraient, reliés par un réseau d’échanges de cristaux magiques et par l’Agence des Éveillés, une organisation indépendante régulant l’activité des chasseurs et maintenant une relative stabilité. Mais la rancune couvait encore, particulièrement chez les elfes, marqués par des siècles de persécution.
Au milieu de ce monde fracturé, un jeune garçon à peine âgé de plus de 15 ans, du royaume des humains, Ryven, s’apprêtait à vivre une journée qui, pour lui, ressemblait à toutes les autres.
Les rayons du soleil inondaient doucement les rues pavées de Myren, la capitale du royaume des humains. À l’intérieur d’une modeste maison nichée dans un quartier animé, Ryven dormait profondément, ignorant les bruits de la ville qui s’éveillait.
— Ryven ! Debout ! Si tu ne bouges pas, je vais envoyer Torky, lança une voix féminine depuis l’autre côté de la porte.
La réponse de Ryven fut un grognement étouffé sous sa couverture. La porte s’ouvrit avec fracas, et une chaleur inhabituelle envahit la pièce.
Un chat miniature, composé de flammes dansantes, bondit sur le lit avec un miaulement triomphal. Ses petites pattes de feu laissèrent des empreintes lumineuses éphémères sur la couverture. Illuminant légèrement les cheveux aux reflets violets du jeune garçon.
— Torky ! Pas la peine d’être aussi enthousiaste... murmura Ryven se frottant ses yeux d’une couleur quasiment dorée.
Sa tante, Lirina, entra dans la chambre, les mains sur les hanches. Ses cheveux auburn attachés en une tresse élégante brillaient légèrement sous l’effet de sa magie.
— Encore en train de traîner ? Ce n’est pas parce que ton mana est faible que tu peux tout laisser tomber, dit-elle, son ton oscillant entre l’agacement et l’inquiétude.
Ryven se redressa lentement, passant une main dans ses cheveux ébouriffés.
— J’ai juste… besoin de temps, répondit-il en évitant son regard.
Un soupir échappa à Lirina.
— Je ne dis pas que tout sera facile, mais tu ne peux pas baisser les bras. Si tu veux vraiment comprendre ton éveil, tu dois te battre, Ryven.
Il acquiesça vaguement, plus par automatisme que par conviction.
Après un petit-déjeuner rapide composé de pain et d’un ragoût tiède, Ryven quitta la maison. Avant de partir, il caressa Torky, qui ronronna dans un mélange de chaleur et de lumière.
Les rues de Myren étaient animées : des marchands criaient pour vendre leurs marchandises, et des cristaux magiques illuminaient des enseignes. Une boutique en particulier attira son attention.
Un transmetteur magique en vitrine projetait une image lumineuse et vibrante d’une jeune fille blonde en armure légère.
— Velena, la chasseuse prodige de rang A, venait d’être honorée par l’Agence des Éveillés.
La voix off énumérait ses exploits.
— Première éveillée à la magie de lumière à atteindre le rang A en 20 ans. Une véritable étoile montante !
Ryven détourna rapidement les yeux, une boule d’amertume au ventre. Il avait la même affinité rare… mais rien de comparable à ses exploits.
L’académie de Myren dominait le centre-ville, ses tours imposantes et ses vitraux ornés de runes magiques reflétant le soleil matinal.
Ryven s’installa à sa place dans la salle de classe, les yeux baissés, espérant ne pas attirer l’attention. Le professeur Nelvaren, un homme à l’air sévère avec une barbe grise soigneusement entretenue, se tenait devant un tableau magique qui projetait une carte d’Eryndor en trois dimensions.
— Bien, classe, reprenons notre étude de l’Histoire, déclara Nelvaren d’un ton grave. Aujourd’hui, nous approfondirons les conséquences de la Grande Guerre et l’apparition des portails.
Il pointa un cristal sur la carte, et celle-ci s’anima. Des flèches colorées apparurent, montrant les déplacements des armées des quatre royaumes.
— Quelqu’un peut-il me rappeler pourquoi cette guerre a éclaté ?
Ryven sentit le regard de Nelvaren se poser sur lui.
— Ryven, peut-être ?
Le garçon hésita, mais il finit par se lever.
— Euh… la guerre a commencé à cause des tensions raciales et de la lutte pour les ressources magiques, dit-il, la voix hésitante.
— Correct, mais incomplet, répliqua Nelvaren.
Le professeur fit un geste, et la carte se modifia pour afficher un cristal géant scintillant.
— Tout a commencé avec la découverte des Cristaux Primordiaux, expliqua-t-il. Ces cristaux, rares et extrêmement puissants, étaient recherchés par tous les royaumes. Leur mana permettait de renforcer des armées entières et d’alimenter des enchantements de grande envergure.
Nelvaren marqua une pause, observant les élèves.
— Ce fut la cupidité des rois qui précipita le conflit. Mais ce ne furent pas seulement les cristaux qui alimentèrent la guerre. Quelqu’un peut-il me parler des artefacts ?
Velgar, l’élève prodige de la classe, leva la main avec enthousiasme.
— Les artefacts sont des reliques anciennes, datant d’avant l’apparition des éveillés. On dit qu’ils sont dotés de pouvoirs incompréhensibles, et certains royaumes les utilisent encore aujourd’hui.
— Excellent, Velgar, répondit Nelvaren en hochant la tête. Les artefacts jouèrent un rôle central dans les batailles. Certains éveillés de rang S étaient capables d’en décupler la puissance.
Un élève au fond de la classe murmura :
— Pas sûr qu’un rang F puisse même les toucher.
Un rire étouffé parcourut la salle. Ryven garda les yeux rivés sur son bureau.
Nelvaren reprit :
— Et puis, bien sûr, il y avait les tensions raciales. Les elfes avaient été persécutés par les humains pendant des siècles, réduits en esclavage dans certaines régions. Les nains, eux, cherchaient à protéger leurs montagnes, tandis que les amphibiens voulaient préserver leurs marécages riches en mana.
Il activa une nouvelle projection montrant des portails apparaissant un peu partout sur la carte.
— Mais la guerre n’était rien comparée à ce qui allait suivre. Les portails, ces ouvertures dimensionnelles, bouleversèrent l’équilibre des royaumes.
Les élèves écoutaient attentivement, captivés par la représentation holographique de monstres surgissant des portails.
— Savez-vous pourquoi seuls les éveillés peuvent entrer dans les portails ? demanda Nelvaren.
Un élève leva timidement la main.
— Parce qu’ils réagissent au mana ?
— Exact. Les portails semblent liés à notre énergie vitale. Mais leur origine reste un mystère. Certains théoriciens pensent qu’ils sont une punition divine pour nos péchés pendant la Grande Guerre.
Il fit une pause dramatique, observant la classe.
— Une autre hypothèse prétend que les portails sont des vestiges d’une civilisation encore plus ancienne, disparue avant notre ère.
Ryven leva discrètement la main.
— Ces théories… elles parlent des artefacts ? demanda-t-il.
Nelvaren sembla surpris, mais il acquiesça.
— Bonne question, Ryven. Oui, certains artefacts retrouvés dans les portails sont similaires à ceux de la surface. Cela suggère un lien entre ces deux mystères.
Un léger murmure parcourut la classe, et Ryven se sentit légèrement fier de sa contribution.
— Cependant, reprit Nelvaren, il est crucial de comprendre que les portails ne sont pas seulement des mines de ressources. Ce sont aussi des zones de mort. Des milliers d’éveillés ont péri en tentant de les conquérir.
Il désigna une dernière image : celle d’un portail étiqueté "anomalie".
— Ces portails de classe Z sont les plus dangereux. Même les éveillés les plus puissants hésitent à s’en approcher.
Après cette mise en garde, le professeur Nelvaren consulta l’horloge murale et adopta un ton plus posé, presque monotone. Le cours, jusque-là animé par les questions et les interactions des élèves, devint nettement plus magistral. Nelvaren entama un exposé détaillé sur les techniques d’analyse des fluctuations magiques des portails, appuyant ses explications sur des schémas complexes qu’il traçait à la craie.
Les élèves, bien que présents physiquement, montraient des signes d’essoufflement intellectuel. Quelques-uns griffonnaient distraitement sur leurs carnets, tandis que d’autres fixaient le tableau sans vraiment suivre le flot de chiffres et de termes techniques. Ryven, lui, essayait de rester concentré, mais son esprit se perdait parfois dans le rythme presque hypnotique de la voix de Nelvaren.
Le temps semblait s’étirer, chaque minute devenant plus lourde que la précédente. Cela faisait déjà plus de trente minutes que le professeur exposait méthodiquement les processus de stabilisation des portails et les mécanismes de leur fermeture en cas d’urgence.
Alors que l’attention générale continuait à décroître, un bruit sec brisa soudain le flux du discours : la cloche sonna, marquant la fin du cours. Les élèves, comme libérés d’un sortilège, commencèrent aussitôt à ranger leurs affaires, le bruit de leurs sacs et de leurs livres emplissant la pièce. Mais Nelvaren, imperturbable, leva une main pour les arrêter.
— N’oubliez pas, élèves, que l’Histoire n’est pas figée. Vous êtes les éveillés de demain. Ce que vous ferez déterminera les légendes de notre temps.
Ryven quitta la salle avec un mélange d’admiration et de désespoir. Il rêvait de faire partie de ces légendes, mais son rang F semblait condamner ses ambitions.
Le cours suivant introduisait des concepts complexes, comme le calcul du flux de mana nécessaire pour stabiliser des enchantements.
Ryven tentait de suivre, mais chaque formule sur le tableau lui semblait floue.
— Si un cristal de rang C nécessite 240 unités de mana pour maintenir une barrière pendant 10 minutes, combien en faut-il pour une heure ? demanda le professeur à la classe.
Velgar, l’élève le plus talentueux de la classe, leva la main et donna la réponse parfaite. Ryven, lui, n’avait même pas compris la question.
Les élèves furent conduits dans une cour extérieure, où des cibles en bois avaient été disposées.
— Aujourd’hui, nous allons travailler sur la précision et la puissance, annonça le maître d’armes.
Un à un, les élèves lancèrent des sorts élémentaires. Des boules de feu éclatèrent, des éclairs zébrèrent le ciel, et des jets d’eau pulvérisèrent les cibles.
Quand ce fut le tour de Ryven, il sentait tous les regards braqués sur lui.
— Allez, Ryven, montre-nous de quoi un éveillé de lumière est capable, lança une voix sarcastique dans la foule.
Il leva la main, concentrant son mana comme il l’avait appris. Une faible lueur apparut au bout de ses doigts, vacillant avant de disparaître.
— Incroyable… même une luciole est plus lumineuse, se moqua un élève.
Le maître d’armes secoua la tête.
— Continue de t’entraîner, dit-il sans conviction.
Ryven baissa les yeux, la honte brûlant sur son visage.8Please respect copyright.PENANAQfTU07prbC
Ryven s’installa seul dans un coin de la cour, un sandwich à moitié mangé à la main. Les autres élèves formaient des groupes, riant et discutant de leurs entraînements ou de leurs exploits récents.
— Tu devrais manger dans les toilettes, ça correspond mieux à ton niveau, lança un garçon en passant près de lui.
Ryven serra les poings, mais ne répondit pas. Après quelques instants, il quitta la cour pour rejoindre son refuge habituel : les toilettes abandonnées de l’aile sud.
Là, il s’assit sur le rebord d’une fenêtre brisée, observant les nuages.
"Pourquoi suis-je si faible ?", pensa-t-il pour la énième fois.8Please respect copyright.PENANAiAOtt1NRf9
La journée se termina par un cours théorique sur les portails. Le professeur montra des images holographiques projetées par un cristal.
— Les portails prennent des formes variées : jungles, labyrinthes, cavernes… Mais leur structure interne reste imprévisible.
Ryven écoutait distraitement, incapable de se concentrer.
— Seuls les éveillés peuvent entrer dans les portails, continua le professeur. Et parmi eux, seuls les plus talentueux peuvent espérer survivre aux dangers qu’ils recèlent.
Un murmure parcourut la classe, et Ryven savait qu’il en était la cible.
— Ça ne sera jamais son cas, chuchota quelqu’un.
Quand la cloche sonna, il fut le premier à quitter la salle, aspirant à l’anonymat des rues de Myren.
Quand il rentra chez lui, le soleil déclinait à l’horizon. Lirina l’attendait avec un sourire.
— Tu es de retour, dit-elle en caressant doucement Torky, qui ronronnait à ses pieds.
Ryven hocha la tête sans un mot. Sa tante le guida jusqu’au salon, où une petite table basse était dressée avec du thé et quelques biscuits.
— Tu sais, quand j’ai éveillé mon affinité, j’étais loin d’être aussi forte qu’aujourd’hui, commença-t-elle.
Il haussa un sourcil.
— Sérieusement ? demanda-t-il, dubitatif.
— Oui. Tout le monde m’appelait "la flamme vacillante". Ce n’est qu’en persévérant que j’ai pu atteindre mon rang actuel.
Elle posa une main rassurante sur son épaule.
— Ne te laisse pas abattre. Ton affinité est rare, et tu trouveras ta voie.
Ryven acquiesça, mais au fond de lui, il ne pouvait chasser le doute.
Cette nuit-là, Ryven s’endormit, ses pensées noyées par ses doutes.
Dans le silence de la nuit, une voix éthérée résonna soudain dans son esprit :
— Le libérateur… va bientôt s’éveille8Please respect copyright.PENANAh4LTV3KLtf